Je commence ce jour, après beaucoup de réflexions, à écrire quelques lignes sur ce petit pays du Bodéo qui m'a vu naître le 11 octobre 1914. De ces années de guerre, peu de souvenirs; dans cet examen de la commune, je commencerais par dire comment je l'ai vu vers 1925. Un calendrier des Postes de cette époque situe ainsi le Bodéo à 32 km au sud-ouest de Saint Brieuc 400 habitants, Poste La Harmoye , canton de Ploeuc ; je ne me rappelle plus si la surface était inscrite . Elle est de moins de 1000 hectares. Si vous regardez le pays des hauteurs de la Porte Perrot route de Lanfains , on aperçoit le bourg au fond d'une sorte de cuvette ; plein sud , la Butte Saint-Michel , plus à l'est les collines de Bara en Allineuc ,la forêt de l'Hermitage au Nord , à l'ouest la commune de Saint-Martin et La Harmoye. Pourquoi 1925 ? Mes parents m'avaient mis à l'école de Lanfains ; je devais faire le trajet le Bodéo-Lanfains fréquemment, ce qui fait que je pouvais admirer le panorama de cette campagne bien fournie et touffue d'arbres . Des maisons, on en voyait très peu ; la fumée indiquait les lieux habités. C'est là une grosse différence avec le paysage actuel où on aperçoit à peu près tous les villages. Comment cela s'est-il fait en 80 ans ? A l'époque de 1914, les terres exploitées et plantées d'arbres autour de nombreuses parcelles de terre faisaient paraître le pays comme une forêt. Il faut dire que les propriétaires des exploitations étaient très exigeants sur l'abattage des arbres ; le fermier ne devait se servir que des arbres morts pour son chauffage d'où l'utilisation dans les fermes de fagots, de genêts, d'ajoncs,
de vieilles souches d'arbres arrachées sur les talus, de troncs de choux fourragers, de pommiers abattus par la tempête . Les chemins, également bordés de talus, étaient plantés d'arbres. Aujourd'hui, on pourrait presque dire que le pays est dénudé. En 1945, il a fallu faire les chemins ; je dirais plutôt refaire , élargir ,creuser les fossés pour les égouts, faire les ponts empierrés , les premiers travaux à main-d'oeuvre manuelle. Pelles, pioches , brouettes , péniblement et lentement avançaient ses chantiers. Les arbres vont tomber un peu, la visibilité doit être observée. Vers 1960, l'agriculture a besoin de champs plus vastes pour la modernisation qui arrive à toute vitesse. Dans un premier temps, les cultivateurs sont invités à agrandir lorsqu'il y a possibilité les pièces de terre en leur possession en arasant des talus .Les premiers bulldozers font leur apparition ; curieusement on se déplace les voir travailler ;ce sont de lourds engins ressemblant aux tanks de la guerre 1939-1945, ils ne doivent pas emprunter la route pour leurs déplacements , les chenilles écraseraient la chaussée. Cette première démolition de talus ne fût pas grave, plutôt bienfaisante. On vit (alors) apparaître les premières tronçonneuses. Dès lors, les arbres trouvaient là un ennemi redoutable. Le progrès du machinisme va accentuer ces transformations; le matériel devient plus maniable, les transports d'engins se font par camions et remorques ; les entrepreneurs sont nombreux. En continuant ce chapitre sur le dépeuplement des arbres, le pire va se faire vers 1968-70 avec le remembrement. On arase les talus; les arbres tronçonnés et rassemblés prennent peu de place, les souches entassées sont d'énormes taupinières. Sur ces terres bousculées , un peu méconnaissables , apparaissent des villages que l'on devinait (seulement) auparavant.
Beaucoup de travaux vont être nécessaires pour mettre de l'ordre dans le désordre, trouver les parcelles appartenant à chacun ,se mettre d'accord; certains hésiteront, contestant la valeur du terrain leur étant attribuée, regrettant les aménagements qu'ils avaient entrepris sur leurs terres et devenant exploitées par un autre cultivateur. Plusieurs années seront nécessaires pour apaiser les querelles. Des travaux annexes furent nécessaires, corriger certains cours d'eau dans les prairies, creuser des fosses pour évacuer les eaux de certains endroits pentus. Du fait de pièces de terre agrandies, les pommiers à cidre subirent un gros dommage (car) devenus des obstacles pour le tracteur tractant du matériel large et lourd , disons encombrant. Le cidre, qui fût pendant la moitié du siècle , la boisson de la population devint moins recherché au profit de bière et vin. L'ouragan d'Octobre 1987 fera aussi des victimes dans les vergers. Ce furent surtout les toitures de maison et les bâtiments d'exploitations qui furent touchés; la remise en état du téléphone et de l'électricité nécessita plusieurs semaines. La Bretagne était entièrement ravagée par ce que l'on désigne de catastrophe naturelle. Pour ce que fût le remembrement de notre propriété, je me suis senti avantagé; les pièces regroupées furent plus commodes pour les labours et les récoltes; les outils et le matériel motorisé étant conçu pour mettre moins de temps à exécuter les principaux travaux . D'autre part, le mamelon qui nous fût attribué un peu pentu permettait avec un cheval d'utiliser la forme du terrain ; aller par exemple avec la charrette vide en montant et descendre chargé par l'autre dénivellation. L'ensemble de la pièce de terre étant entouré de bons chemins. Nous n'avions qu'un cheval comme traction pour 10 hectares.
La population : à peine 400 habitants ; ayant fait un compte moi-même sur cette époque 1925-1930, j'en ai trouvé environ 360. La majeure partie occupée par la terre, les plus grandes exploitations 15 à 20 hectares une quantité de boutiques (comme on disait en ce temps-là) de un à deux ha avec une vache ou deux dont l'exploitant souvent employé dans une ferme et l'épouse s'occupant des enfants, des parents âgés , de l'entretien, de l'animal , de faire le beurre , de laver , de pourvoir aux besoins du ménage ; certains entretenaient quelques ruches d'abeilles qui fournissaient un peu de miel lorsque le beurre arrivait à faire défaut. Quelques ouvriers manœuvres se rendaient au Pas en Lanfains où une petite fonderie employait une centaine d'ouvriers. D'autres se dirigeaient vers Cartravers ; une carrière y est exploitée pour sa pierre ; passée aux fours spéciaux , il en résultait la chaux , amendement calcaire. Au bourg , au moins 5 cafés généralement tenus par l'épouse d'un artisan ; charron , forgeron, menuisier, le bureau de tabac également café et dépositaire de journaux (du dimanche) , deux sabotiers , un bourrelier , un facteur , un couple d'instituteurs à l'école publique. La communauté des religieuses (trois) dont une à l'école privée ; une autre avait un rôle de visiteuse des malades et une supérieure à la direction de la maison assistée d'une jeune fille pour diverses tâches : cuisine, lessive. Les religieuses préparaient une soupe pour les filles qui fréquentaient l'école ; il n'y avait pas la mixité. Les enfants de l'école publique prenaient une soupe dans des maisons amies ou dans un café. Le Bodéo n'a jamais eu de boulanger ni de boucher ; pour le pain Saint-Martin , Allineuc ,Lanfains ,Le Bourg-Neuf en l'Hermitage ont été les pourvoyeurs ; la viande : Corlay , Quintin, Saint-Martin ,La Harmoye ; pour l'anecdote disons qu'à ce moment là le service se faisait en chars à bancs recouverts d’une bâche verte, la viande dans un grand panier d'osier sur un drap et recouverte d'une même toile .
Les bouchers passaient le samedi ; ils écoulaient peu de marchandises. Le samedi passait le marchand d’œufs et beurre ; il venait d’ Uzel en voiture hippomobile . En 1928 , le Bodéo aura son épicier ambulant qui fera le ramassage beurre et œufs , avec son cheval et sa voiture en bâchée pour commencer. Dans l'énumération de ces différents rôles, j'ai oublié un rémouleur qui faisait traîner une petite roulotte avec des chiens ambulants bien sûr ; il soudait , aiguisait , donnait un nouvel éclat au petit matériel ménager, louche, cuillère, fourchette. Puis un amputé de la guerre 1914 -1918 , il sculptait des moules pour les ménagères, ornés de fleurs ou autres dessins apposés sur le beurre par exemple ; le client reconnaissait la marque, ou lorsqu'on faisait le pain appliqué sur la pâte en mettant au four communal, il était facile de reconnaître le pain. Ces deux dernières activités ont disparu depuis longtemps. Les fermes du bourg quatre , non pas égales surfaces : une contenant autant d'hectares que les trois autres ; qu'importe on y vivait ; au moins quatre personnes autrement avaient une ou deux vaches. Lorsqu' arrivaient les beaux jours, il fallait sortir les animaux ; avec une ou deux vaches c'était souvent les bordures des routes qui servaient de pâturages : la surveillance étant assurée par l'épouse et pour utiliser le temps maximum portait chaussettes ou autres a repriser . Les voitures automobiles étaient rarissimes , l’instituteur fût le premier au Bodéo. Les chaussées n'étaient pas aussi propres avec les animaux qui allaient et venaient , les charrois avec bœufs et chevaux ; tout n'était pas perdu ; certaines ménagères ramassaient le crottin des chevaux , (excellents pour les fleurs). Dans les fermes, les engrais chimiques étaient peu employés : quelques scories et de la potasse d'Alsace , les curages de boue sur les prairies.
Le presbytère , une grande maison près de l'église entourée d'un mur côté Ouest et Est, au midi un portail, vers le nord un jardin important , au moins 25 ares, planté d'arbres fruitiers en majorité des pommiers. Ce fût le moment où la famille Person occupa le lieu ; au moins trois frères Person recteurs du Bodéo de 1914 à 1946 environ ; il y a eu d'abord Joseph puis Ange et Louis ; à leur service , une ancienne personne que je connaissais sous le nom de Gabrielle et une nièce beaucoup plus jeune ; un jardinier déjà âgé , la soixantaine, s'occupait du jardin et des parterres. À proximité du mur de clôture Est du presbytère , nous trouvons le Monument aux Morts de la guerre 1914 -1918 ; je ne me souviens pas précisément de l'année où il fût inauguré . Ce que je me rappelle ce que ma mère eut la charge de recevoir pour un banquet une certaine quantité d'invités et avait prévu à cet effet une cuisinière de Corlay plus habituée à ce genre de rassemblement ; tout semblait être en ordre, lorsqu’au dernier moment, on lui annonce que la clique de Saint-Nicolas du Pélem participerait à ce repas, sans avoir de chiffre précis. Prévenue, la dite cuisinière ne fût pas affolée ; elle ne fit pas la multiplication des pains mais que je sache , tous eurent à manger. De ceci, je pense que c'est surtout l'embarras de ma mère qui m'avait frappé. La clique de Saint-Nicolas était dirigée à ce moment par M. Marius Michet prêtre instituteur, neveu de M. Ange Person recteur du Bodéo. L'école publique se situait au bas du bourg, actuellement cantine scolaire. Deux pièces au rez-de-chaussée étaient suffisantes ; l'instituteur et son épouse occupaient la partie midi face à la route ; un petit jardinet séparait la route et l'école.
Un jardin s'étendait dans l'espace actuel de la nouvelle école ; la cour était le chemin qui conduit au Quélineuc. Disons que cette école était occupée à la fin du XXe siècle par les religieuses du Saint Esprit de Saint Brieuc , sans doute jusqu'à la séparation de l'Eglise et de l'État. C'est à ce moment que les habitants firent construire une autre école vers le haut du bourg et à proximité de la maison des religieuses lorsqu'elles quittèrent l'autre lieu. Le terrain alors fût attribué paraît-il par le propriétaire d'une ferme attenante M. Morvan de Plounevez-Quintin ; les charrois de pierres effectués par les cultivateurs et probablement d'autres corvées. Cette école a dû fermer vers 1960, au départ des religieuses du Bodéo après cent ans de présence. Dans cette rubrique , il faut signaler la Mairie située au-dessus de l'école publique ; on y accédait par un escalier maçonné extérieur pas très pratique (aux heures des récréations souvent occupé par les élèves) . Il n'y avait pas de secrétaire donc pas de permanences ; le maire y faisait une visite quotidienne souvent dans l'après-midi. Ce qui m'amène à parler des facteurs qui venaient de Quintin à pied d'abord puis en vélo ; le courrier rare , les abonnements aux revues et journaux insignifiants ; pour le service téléphonique , il fallait se rendre à la Harmoye ; un service de télégramme y était assuré également. Une ligne de chemin de fer avec arrêt à Cartravers , La Harmoye et le Garatoué , cette petite voie ferrée de Quintin à Carhaix était surtout utilisée par les ménagères qui se rendaient au marché de Corlay le jeudi ,ou Quintin le mardi avec beurre , œufs volailles.
Le commerce peut développé se faisait pour les bovins, porcins, chevaux (au travers) c'est-à-dire à l'aspect , de l'animal, son état d'engraissement, la qualité pour les boeufs veaux ou vaches, le poids évalué ce qui donnait lieu à des discussions animées. Cependant , le conseil municipal considérant que ce genre de tractations profitait à certains marchands peu scrupuleux, fit l'achat d'une bascule publique pouvant peser plus que le poids des animaux normaux de nos fermes. Les porcs furent les premiers à passer sur le nouvel outil, puis les veaux, les vaches, les boeufs. Ayant le poids des animaux, l'estimation était plus correcte. Les foires avaient lieu généralement au canton une fois par mois, la fréquentation pour le Bodéo était Quintin, Ploeuc, Uzel ou Corlay ; on s'y rendait à pied avec les vaches ,bœufs, chevaux ; les veaux et cochons en charrette de chars à bancs, ; au moins tous les 5 km une auberge permettait un arrêt pour les bêtes et les gens. En même temps, l'information sur le cours des animaux se communiquait de bouche à oreille. Les foires étaient un endroit très vivant, les acheteurs circulant avec leurs grandes blouses d'un gris très reconnaissable, des ciseaux un peu spéciaux, dans une petite poche à auteur de l'épaule, prêts à marquer l'animal, lorsque le marché était conclu, et que acheteurs et vendeurs s'étaient frappés la main. Lorsque l'acheteur était de loin, il fallait conduire les bêtes à la gare pour embarquement ce qui prolongeait le trajet. L'entretien des routes pour la commune occupait deux hommes : l’un sur la route départementale recevait les ordres de travail de l'agent voyer qui habitait Uzel , l'autre plus spécialement était employé sur le réseau vicinal plus directement surveillé par le maire, les cailloux distribués au bord des chemins par les cultivateurs qui acquittaient un impôt de voirie.
La pierre extraite dans des carrières sur le territoire de la commune. Les paysans qui ne possédaient pas de charrette et chevaux accomplissaient des journées avec le cantonnier ; brouetter , étaler , nettoyer les fossés pour l'écoulement des eaux. Pour ses ouvriers de la voirie le matériel était simple : la brouette, la pioche, la bêche, la fourche, la faucille. L'employé départemental avait une bicyclette , pouvant être appelé pour un travail collectif sur une commune limitrophe. Le cantonnier communal était rémunéré sur le budget de la commune. Pour montrer la simplification du financement, l'homme disait son compte de journée mensuelle ; le maire établissait le mandat (sans doute suivant un barème établi pour cette activité) puis il se rendait au chef-lieu de canton au percepteur qui lui versait la somme ; un inconvénient, la perception était à 16 km (32 aller-retour); cela ne pouvait s'accomplir à jeun , et le mandat subissait un retrait souvent dépensé en boissons. Le percepteur ne se déplaçait pas chaque mois, pour percevoir les impôts; une ou deux fois, pour établir le budget en présence du conseil municipal, équilibrer dépenses et recettes. Entendre les réclamations payées et quelques coupons aux épargnants, verser pensions aux veuves, mutilés de guerre du travail. Lorsque le percepteur se déplaçait, son travail se répartissait avec la commune de La Harmoye, le matin et Le Bodéo après-midi ; le local : la Mairie en bas du bourg. Quelques retraités y touchaient leur pension de retraite. D'autres venaient pour des actions en bancs, coupons à payer ; vers 1935 , des aides aux parents de famille nombreuse. Il percevait les impôts.
Je reviens sur le rôle du facteur rural ; son activité se déroulait également le dimanche ; certains journaux et périodiques étaient hebdomadaires ; il pouvait se faire remplacer pour ce jour là , en assurant la distribution par une personne de son choix ; comme les gens se rendaient à la messe du dimanche du matin , le dimanche il pouvait distribuer le courrier sans parcourir le la commune : travail effectué dans la matinée. Une anecdote sur le métier qui m'a concerné directement. J'avais 17 ans et un vélo . J’avais accepté du préposé de le remplacer en semaine en cas d’indisposition de sa part ; je devais me rendre à la poste un matin pour assister à l'arrivée du courrier afin d'être un peu au courant du classement des lettres mandats et paquets. La grippe est arrivée chez le facteur avant que je me sois rendu observer les différents mouvements du courrier. Ce fût donc sans instructions que je me présentais. Surpris par le triage le courrier des deux communes était dans le même sac, le receveur effectuant la tournée sur une partie de la commune de la Harmoye. Pour ajouter aux difficultés, il a plu à peu près toute la journée ; l'horaire habituel était largement dépassé lorsque je commençais la distribution. À Cartravers, le directeur des fours à chaux attendait sur la petite place en regardant ses ouvriers qui chargeaient les charrettes de ce précieux amendement ; je m'excusais de ce retard en essayant de les faire comprendre les raisons. Dans une petite maison du village ,un mandat à régler signature à l'appui ensuite le village de Kermaux par un mauvais chemin Kerdrain pour atteindre ici des Prairies les ruisseaux en crue , ce n'était plus le vélo qui me portait et revenir Cartravers La Harmoye , prendre la route du Bodéo distribuer dans les villages en bordure.
Les parents avaient mangé quand je suis arrivé à la maison ; j'ai avalé un petit repas et repris vers le village de Kerigant L’Hivéry, l'Argouet , le Mottay , Kerfros , Kerho, Lingourdy ,la porte Perrot , le Bout du Bois , le Garatoué et retour à la Harmoye par la Salle et la Métairie. Le courrier rapporté ne partirait certainement que le lendemain ; avec un remplaçant il n'y avait pas de sanctions pour une journée pas effectuée dans les délais. Le lendemain , puisque je devais assurer deux jours me parut plus facile ,quoique prairies et chemins n'avaient pas séché. En conclusion de cette expérience de jeunesse sur une profession que je voyais désirable , j'ai constaté qu'un minimum de conseils du titulaire aurait contribué à comprendre les petites difficultés qui apparaissent au cours du travail. En 1930 , les communications avaient doublé depuis la fin de la guerre. Peu de modifications sur les bâtiments habitables .En 1925, au haut du bourg une maison d'habitation démolie et remontée sur le même emplacement. Changement de style l'ancienne demeure possédait une tourelle sur le côté route départementale, au midi une cour entourée d'un mur qui longeait un chemin conduisait à l'école privée. Des réparations importantes aux bâtiments d'élevage de l'autre ferme du haut du bourg donnant sur la place et en particulier démolition de l'entrée dans la cour , d'un porche qui donnait un aspect spécial à ce genre de demeure du XVIe du XVIIe siècle. Ce fût également ces années-là que la croix du bourg fût déplacée ; jusque-là elle trônait au milieu de la place. Or il arriva un jour ou le comice agricole se tenait chez nous un exposant qui avait un camion pour amener ces verrats de plaques d'une manoeuvre maladroite qu'on y a dans le monument qui s'écrasa sur la place le tronc de La croix en deux. Lorsque les participants aux banquets remontèrent le bourg après le banquet , l'étonnement fût général .Pourquoi ? Comment ? L’enquête ne dura pas longtemps ;
l'exposant en question était le seul à avoir utilisé un moyen motorisé pour se rendre au concours. Je ne sais qui paya pour le méfait mais la croix fût érigée en bordure de la route laissant la circulation plus facile, prévoyant un nombre plus important de véhicules à l'avenir. La croix sur la place était lors du pardon, le but des processions pour la fête du Saint-Sacrement on y faisait le reposoir ; des parterres de fleurs ornaient la chaussée ; de la verdure entourait la croix. Tout ce travail préparé par les religieuses et les enfants de l'école et bénévoles ; les maisons bordant le passage des processions couverts de draps blancs ornés de quelques fleurs. C'était une occupation pour des maîtresses de maison, facile lorsque le temps était favorable disons que ce déploiement de draps en sur les murs se faisait uniquement lors de cette fête . Pour ce jour là, le recteur se faisait aider d'un prêtre d'une autre paroisse pour l'homélie et le port du Saint-Sacrement qui se déplaçait sous le dais tenu par quatre hommes ; des angelots joliment costumés suivaient et jetaient des pétales de fleurs à quelques arrêts du cortège. Le clergé un recteur quelquefois à aider d'un vicaire. Une famille Person originaire de Moncontour a fourni trois prêtres pour la paroisse d'abord Joseph jusque 1910 puis Ange (1910-1930) ; devenus malentendants reçu le soutien de son frère Louis qui était professeur à Compostal. Chaque matin une messe ; y assistaient les religieuses et quelques personnes du bourg. Lorsqu'il y avait des prières pour les défunts, la famille concernée se rendait ce jour là. Souvent le café était offert chez un débitant après la cérémonie de personnes ayant assisté à l'église.
Le bedeau arrivait le matin pour les prières aux défunts ; il devait tinter à certains moments de l'Office, débarrasser l'autel, allumer et éteindre les cierges, faire les différentes sonneries de cloche pour baptêmes, mariages, enterrements, fêtes religieuses. Peu rémunéré, il avait droit de quête auprès de la population. Les recteurs également faisaient la quête, beurre, grain, volaille ; ceci paraissait comme un impôt envers le clergé. Pour parcourir la paroisse, un cultivateur offrait ses services avec chars à bancs et cheval. C'était l'occasion pour le prêtre de voir les fidèles et de se faire une idée de l'ensemble des paroissiens. Le denier du culte était perçu en fin d'année. Le recteur réunissait alors le Conseil de Fabrique qui était un conseil paroissial composé de cinq ou six hommes uniquement. Le prêtre faisait un compte-rendu des quêtes et redevances l'état des lieux (presbytère, église) exposait ce qui aurait besoin d'être amélioré. C’était, paraît-il généralement accepté. Cette assemblée avait lieu un dimanche. Le repas offert par le recteur, généreusement considéré comme une bonne réunion. Les paroissiens au courant de cette journée disaient : « le recteur va tuer son coq aujourd'hui ». La paroisse du Bodéo a bénéficié pendant environ 40 ans des services de la famille Person ; il y eut Joseph avant la guerre 1914, Ange : 1916 -1936 , Louis 1936 -1946 , enterrés au Bodéo. Ange , atteint de surdité dût accepter l'aide de son frère Louis pendant une dizaine d'années. Joseph, qui était recteur de Lanfains, vint mourir au Bodéo en 1923. Un autre frère ,également prêtre, Jean-Baptiste, aumônier à Créhen ; ce qui porte à 4 frères dans la prêtrise . J'ajoute Jean-Baptiste JOUAN , mon oncle, né en 1878 au Bodéo, prêtre ordonné en 1905 , fût vicaire à Hénanbihen , mobilisé 1914,adjudant services sanitaires 1919 , nommé aumônier hôpital de Sittard Hollande (religieuses de la Divine Providence) maison mère Créhen Côtes-d'Armor , décédé Mai 1940 à Bologne Nord dans un accident de chemin de fer (déraillement bombardement ) ; il y eut plusieurs victimes.
Les restes de l'abbé Jouan furent ramenés au Bodéo en 1948 et enterrés au tombeau de la famille Jouan. Si mes souvenirs sont bons, c'est le seul prêtre du siècle . En ce qui concerne les religieuses nées au Bodéo, je citerai les noms de famille Goupy, Lorvellec, Boscher, Gouézigoux, Jouan, peut-être d'autres ? Le rôle de la communauté religieuse au Bodéo a toujours été apprécié de la population. L'éducation était une activité reconnue pour les filles ; la mixité ne fût pas effective jusqu'en 1956, date de leur départ. Les parents trouvaient un avantage, surtout en ce qui concernait le catéchisme ; les leçons étaient régulièrement faites ; on en retenait toujours quelque chose ; les prières répétées à voix haute étaient retenues par tous. La soeur qui voyait les malades était un lien avec toute la population ; une parole au sujet d'une personne souffrante donnait confiance ; elle avait toujours son thermomètre avec elle ,( ce qui n'était pas le cas dans chaque foyer). Elle recevait lait , lard, quelquefois légumes qui aidaient pour les menus écoliers . Le bois de chauffage fourni par les propriétaires terriens, amené par les fermiers et cassé par des volontaires ; une journée de cassage fixée par la communauté qui assurait le repas des bûcherons d'un jour. Le bois ainsi préparé et rentré à l'abri, il servira pour la cuisine et au chauffage de l'école aux mauvais jours. Le transport du bois vers l'école est fait par les élèves les plus âgés les jours d'intempéries.
Nous avons vu que la mixité n'existant pas à l'école chrétienne, les garçons recevaient l'enseignement religieux auprès des prêtres. Il faut dire qu'à l'époque, le jeudi il n'y avait pas école, le catéchisme était enseigné ce jour là plus une, autre heure le dimanche avant les vêpres soit vers 13 h 30 ; garçons et filles d'âge de préparation aux communions devaient s'y rendre ; chaque groupe bien distingué et avec le catéchisme livre de leçons élémentaires sur la religion chrétienne. À 11 ou 12 ans, arrivait l'âge des communions solennelles. C'était l'occasion de fêtes religieuses très suivies , processions messes, la matinée , repas de famille et vêpres l’après-midi ; c'était souvent la première fois que l'on faisait une photo du communiant avec les parrains et marraines. Ces rassemblements familiaux posaient le problème du déplacement , certains villages à 3 km ; on attelait le cheval aux chars à bancs et en voiture ; arrivé au bourg , il fallait trouver un endroit calme afin que le cheval reste tranquille , refaire le parcours pour prendre le repas, revenir à la cérémonie de l'après-midi ; la procession s'effectuait à ce moment. Après ces diverses occupations, les gens se rendaient dans les cafés, le cidre pour les hommes, peu de vin, une liqueur ,le café aux femmes , quelques friandises pour les enfants. Des marchands ambulants avec un maigre étalage de bonbons et jouets faisaient la joie des plus jeunes ; l'époque des communions et confirmations était généralement Mai ou Juin ;la longueur des jours permettait de s'attarder après la fête religieuse ; certaines familles se rassemblaient en soirée pour une collation ; le riz au caramel été généralement bien accueilli.
Une autre journée de réjouissance avait lieu chaque année, le pardon fête du saint patron de la paroisse ; au Bodéo Saint Théo, moine ou abbé et solitaire nous disait-on. Cette fête se situait le troisième dimanche de juillet ; elle ressemblait beaucoup aux cérémonies de communions : messes, vêpres et processions dans le bourg ; le buste du saint patron était sorti ce jour-là , transporté par des jeunes hommes. Après les vêpres , la fête profane s'organisait ; chaque café possédait son jeu de quilles ; pour ce jour ,le cafetier embauchait un sonneur (accordéon le plus souvent ou clarinette, vielle) ; on y dansait gratuitement en consommant une boisson dite hygiénique : soda , bière , peu de cidre . La jeunesse du pays aimait beaucoup ce rassemblement. Les parents exigeaient de leurs jeunes qui rentrent avant minuit ; bien sûr, ce n'était pas toujours observé. L'après-midi du lundi avait lieu les courses de chevaux ; un champ choisi par le comité des fêtes servait de terrain ; des piquets jalonnaient le parcours que devait effectuer les concurrents. Pour ce genre d'épreuve, c'était les hommes ayant un peu l'expérience des chevaux qui s'intéressaient à tel ou tel cavalier et à sa monture ; il n' y avait pas de paris, l'ambiance suffisait à animer les conversations entre deux courses en buvant quelques verres ou bolées. Le bourg s'animait ensuite avec les courses à pied enfants et adultes ; quelque jeux , palets , casse-pots , mangeurs de riz ; les sonneurs reprenaient la musique dans les cafés pour le grand plaisir des danseurs et danseuses. Tard dans la soirée, les musiques se taisaient chacun rentrant plus ou moins joyeux de ces rencontres éphémères en pensant à l'année prochaine, tout ceci vers 1930. Les jeunes entre 15 et 20 ans appréciaient ces rencontres ; peu possédaient un vélo qui leur aurait permis les autres dimanches de se rendre ailleurs.
Dans les rassemblements communautaires , signalons le comice agricole du canton qui avait lieu à tour de rôle dans une des communes , ce qui devait se produire tous les six ans. Ce jour là, les animaux occupaient les routes la place du bourg , la cour de l'école : un embarras et des bruits plus accentués qu’ une journée ordinaire ; chacun comparait la présentation , animaux propres, chevaux bien soignés, queues et crinières tressées, obéissants pour accomplir un parcours au pas ou au trot avec son propriétaire, les moutons remarqués pour la qualité de leur laine ; les experts notaient les plus valeureux ; classements souvent difficiles. Le palmarès avait lieu vers midi ; des prix en espèces étaient attribués au premier, d'autres des cartes donnant droit de participation au banquet de fin de journée. Placé sous la présidence du Chef des Services Agricoles du département , c'était une occasion au cours du repas de donner des conseils aux éleveurs ou cultivateurs. Les animaux ramenés après la matinée vers leurs écuries ou l’étable, les domestiques pouvaient revenir au bourg où quelques réjouissances étaient organisées ( bals ). Le premier Mai était aussi l'occasion pour les jeunes ayant vingt ans dans l'année, de parcourir la commune en chantant un champ très connu puisque répété par les générations « voici le mois de Mai , où les rosiers boutonnent … où les jeunes garçons vont voir leur mignonne» etc… etc… ; plusieurs couplets. Seulement pour avoir chanté , il fallait donner quelques oeufs précieusement ramassés ; le tournée durait quelquefois la nuit ; il faut dire qu' à cette époque le jour se fait tôt .Cette moisson servait à faire une belle omelette le dimanche suivant avec quelques invités du même âge réunion tout amicale chez un ou une des jeunes de vingt ans.
Noël et le Nouvel An vers 1925-1930 étaient le temps de réunions familiales. Il n'y avait pas de messe de minuit , pourquoi ? Je ne hasarderai aucune hypothèse. Régulièrement ,le montage de la crèche faisait partie des activités du bedeau ; les religieuses y disposaient les santons, l'enfant Jésus , et les animaux boeuf , âne, moutons accompagnateurs. Il y avait sur le devant un ange qui recevait les offrandes et saluait au moment où descendait la pièce ; le salut de l'ange incitait les enfants à demander une autre pièce pour voir le geste se renouveler. Ma grand-mère maternelle réunissait la famille à l'occasion du nouvel an ; autant que possible ce rassemblement se faisait le dimanche le plus rapproché du premier Janvier dans l'année nouvelle. Je me souviens de ces rencontres ; la recommandation principale : offrir nos voeux d'abord aux grands-parents, ensuite les oncles et tantes, puis les cousins et cousines ; tous plus ou moins émotionnés et finalement contents d'avoir accompli cela comme une obligation. Le repas se passait dans la salle pièce au rez-de-chaussée, contigüe à la pièce commune qui servait de cuisine chez nos grands-parents ; c'était cimenté. Au cours du repas, pour les enfants il était préférable de s'abstenir de parler ; le menu , une bonne soupe au pain avec du boeuf bouilli que l'on mangeait ensuite avec une sauce, ensuite une purée et de l’andouille fumée ; je ne me souviens pas avoir eu du fromage, un flanc d’œufs , des pommes , d'autres fois le lapin en ragoût remplaçait la purée ; comme boisson, les hommes prenaient du cidre , du vin juste à la fin du repas et très peu ; de l'eau ou un peu de bière pour les jeunes, le café pour tous. L'eau-de-vie de cidre servait de digestif ou une liqueur fabriquée à partir de cette eau-de-vie.
Le repas terminé, nous sortions de bon coeur regarder et s' amuser autour des meules de paille et de foin. Lorsque les parents sortaient, une de nos tantes qui était dans l'enseignement nous réunissaient à nouveau dans la salle pour faire un peu de lecture ou une courte dictée ; ceci lui permettait de juger et de comparer nos connaissances. Au moment de se séparer, la grand-mère avait préparé quelque monnaie qu'elle nous remettait au départ ; recommandation à nouveau : (« ne les perdez pas »). Cette époque du jour de l'an dans le bourg était l'occasion de rencontres entre voisins ; elles avaient lieu à la nuit après les travaux et le souper. Un bon feu de bois dans la cheminée pour l'accueil, des jeux de cartes, dominos, quelques chansons, un conte ou une histoire de sorcières amusait surtout les jeunes ; le cidre nouveau été apprécié des hommes, le café des femmes ; le pain et beurre des enfants ; souvent du cidre chaud pour terminer. Il était préférable qu'il soit fait avec du vieux cidre ; c'était surtout les adultes qui dégustaient cette boisson appelaient flip ; pourquoi cette appellation ? Peut-être parce qu'on y ajoutait du sucre, de l'alcool, du cidre ou du rhum ; lorsque ce mélange bouillait, on y approchait une flamme ; le feu se propageait sur le liquide ; on disait alors qu'il était flambé. Autres réjouissances, le Mardi-Gras : quelques enfants parcouraient le bourg en jour. Des adultes en soirée passaient dans les cafés ; pour n'être pas reconnu, ils parlaient peu , buvaient avec une paille , presque toujours munis d'un bâton sans doute à cause des chiens. Les feux de la Saint-Jean réunissaient par quartier les personnes du village ; une ronde s'organisait autour de la "fouée" pour une soirée la plus longue.
Jusque mes vingt ans (1934), peu d'évolution dans les travaux et l'outillage des exploitations : le travail de la terre avec la charrue- brabant , la herse, le canadien ou extirpateur, le rouleau instrument que l'on trouvait lorsqu'il y avait plus de cinq hectares ; un cheval, deux boeufs ou deux vaches ,c'était un minimum. Nous faisions partie de cette catégorie avec en plus un peu de terrain loué pour entretenir un cheptel de six vaches, une jument et deux bœufs ; deux ou trois porcs étaient soignés avec du grain, des pommes de terre du petit lait et de la verdure, choux hachés, un reste de cuisson de légumes. La viande du porc était très utile dans les fermes, conservée par salaison dans un charnier, c'était la réserve pour l'année. Au moment de l'abattage de l'animal, certaines parties étaient transformées en pâté, andouilles ; les pâtés cuits au four à pain ; saucisses et andouilles fumées dans de grandes cheminées. Une agréable coutume, au moment du sacrifice de l'animal ,faisait que l'on donnait au voisin un peu de pâtés ou saucisses ainsi qu’à certaines personnes indigentes. Les enfants étaient sollicités pour aller remettre ce cadeau aux dites personnes ; service que l'on accomplissait généreusement ; d'autre part ,comprendre dans ce geste la générosité et la solidarité avec le voisinage. Je reviens aux travaux de la ferme qui demandaient beaucoup de dépenses des bras ; le fourrage foin , trèfle coupés à la faux , les céréales à la faucille, le fumier chargé ou déchargé à la fourche ; le grain ,les engrais, transport sur le dos vers les greniers au moment du battage ; échelles et escalier pas toujours faciles, ceci pour dire qu'il fallait beaucoup de main-d'oeuvre. Les fermes de 20 ou 25 hectares avaient deux hommes et une servante qui était la maîtresse de maison.
Les familles, souvent nombreuses, occupaient beaucoup les femmes lorsque ce petit monde était jeune. Le soin du linge contraignant ; le lavage s'effectuait au bord d'une rivière ou dans un (doué) , trou d'eau captée dans une prairie à proximité d'une fontaine et les lavandières préféraient cette eau, moins froide en hiver. L'inconvénient : ce lavoir était souvent à trois ou quatre cent mètres de la maison par un cheminement peu entretenu : sentier , venelle , chemin creux ; les personnes portaient le linge à dos ou poussaient une brouette ; les draps et vêtements ayant subi un premier lavage étaient rapportés à la maison, bouillis à la lessiveuse, repris et rapportés au lavoir pour le rinçage ; le séchage se faisait au grand air ; le séchage devant le feu à la maison réservé à quelques menues pièces pour les petits enfants .Le jour de ce travail , la personne ne pouvait guère s'occuper de la cuisine. La fabrication du pain était une autre occupation pour la maîtresse de maison : préparer la pâte la veille de la cuisson ; ce travail que l'on désignait, mettre à lever , car on y introduisait le levain ; le lendemain, la cuisson ; il y avait un four dans chaque village ; au bourg , deux lieux de rassemblement ; des hommes devaient préparer, chauffer au feu de bois souvent des bourrées d'épines et de ronces liées. Il fallait une heure de préparation avant l'enfournement de la pâte, deux heures dans le four ; pour la sortie , les dames devaient être là pour reconnaître les miches souvent marquées d'un signe, voire un moule. Pour les ménagères, ce rassemblement permettait de transmettre quelques nouvelles et comme le four était près du café, on profitait de prendre une consommation entre amis, ce qui était bien accepté par le tenancier du café.
Une autre occupation importante pour les maîtresses de maison : la fabrication de galettes de blé noir. Pendant le temps de carême, deux fois par semaine, le mercredi et le vendredi pour le repas du midi, c'était un travail fatigant ; muni de deux palons installés sur deux trépieds et un grand foyer, la personne devait entretenir un feu régulier pour la cuisson de la pâte ; le bois n'était pas souvent de bonne qualité, pris dans un tas dehors au vent et à la pluie ,ce qui rendait le travail fastidieux. Les hommes mangeaient ces galettes avec du cidre dans de grandes écuelles , les femmes les dégustaient plutôt avec le lait du barattage encore appelé bas-beurre. Le repas du soir de ces jours sans viande était constitué de bouillie d'avoine. Ici la préparation était un peu longue et compliquée. Le jour de la cuisson du pain lorsque les « tourtes » étaient sorties du four : faire sécher de l'avoine , ensuite la moudre , faire tremper la quantité voulue de cette mouture 24 heures , étreindre ce mélange dans un linge , faire cuire ce jus au moins une heure et déguster avec cidre ou lait comme les galettes. Les repas à la maison, le matin un petit déjeuner, c'était une soupe de pain quelquefois un petit café à la suite et la goutte ( eau-de-vie de cidre ) pour les adultes. Lorsque le temps était favorable, l'ouvrier prenait un casse-croûte qu'il mangeait à mi- matinée , une boisson, du cidre ; le repas de midi pris à la maison : généralement une soupe de légumes et viandes cuites ensemble, pas favorable à tous les estomacs ; quelquefois du lapin en ragoût , ou une poule le samedi. Pas de fromage à l'époque , du cidre et le café comme boisson ; à cinq heures une collation, souvent prise aux champs .
Lorsque les travaux réclamaient beaucoup de main-d'oeuvre , plantations, binages , travail du foin de la moisson , arrachage pommes de terre ,betteraves, tout travail manuel. Le soir, à nouveau réuni, la soupe constituait le repas, quelquefois au lait , lorsque les vaches goûtaient les herbes du printemps ce qui favorisait les lactations. Le dimanche, un morceau de viande (douce) en bouillie ou rôti améliorait le repas de midi. Le travail que réclamaient les animaux était assuré à tour de rôle par un gardien ; c'est-à-dire que celui-ci devait assister à la messe du matin sept heures et arriver à la ferme avant 10 heures afin de libérer l'autre homme qui avait fait le travail du matin ; ce qui lui permettait de se rendre à la messe et était libre le reste de la journée. Pour les femmes, c'était le même système. Les cafés au bourg étaient plus animés le dimanche. Dès huit heures, fin de la première messe, les fermières se rendaient à l'auberge acheter quelques denrées sel, café et poivre, sucre , en profitaient pour prendre un café quelquefois arrosé de rhum , eau-de-vie en bavardant sur les diverses nouvelles entendues ; un journal hebdomadaire était souvent suffisant pour la semaine. Il fallait rentrer pour dix heures relayer l'autre personne. Les hommes faisaient également un tour au café surtout chez celui qui vendait le tabac. Le (gris) qu'il fallait rouler pour faire la cigarette les (gauloises) toutes faites, le (carotte) les anciens le coupaient en fines lamelles dans des pipes de différentes formes , le tabac à priser dans une tabatière, il fallait humer cette poussière noire ; on prétendait que cela dégageait le nez, voire le cerveau ; les mouchoirs n'étaient pas beaux. Pour le travail , les valets et servantes , généralement généralement embauchés le premier Mars pour une année avaient le logement à la ferme. Les conditions de l'embauche conclue aux environs du Nouvel An ; l'avantage d'avoir le personnel à la maison était évident. L'employé suivait les mêmes horaires que les chefs d'exploitation ; lorsque faisait beau et bon travailler , les heures supplémentaires compensaient le relâchement des autres moments difficiles des intempéries de saisons. Il n'y avait pas de vêtements de pluie, ni bottes ; les sabots pour tous, pas toujours confortables pour le pied. Les souliers , réservés aux dimanches et jours de fêtes ; les « claques » pour les femmes : sabots de bois avec une bande de cuir sur le cou du pied étaient plus léger que le sabot ordinaire et peu pratiques lorsqu'il y avait de la boue. Aux environs de dix-huit , vingt ans le valet avait souvent connu comme principale occupation la conduite de l'attelage pour les charrois et les labours.. Le deuxième homme faisait plus les travaux manuels. Le patron soignait les animaux et veillait à l'environnement le troupeau, faire les marchés. Les femmes à la maison avaient les enfants à s'occuper, les repas, le ménage, la réparation des vêtements, bas, chaussettes. L'élevage du cochon était confié aux fermiers. Peu développé à l'époque, c'était surtout pour fournir la viande nécessaire tout au long de l'année que l'on entretenait l'élevage ; nourris aux produits de la ferme ( son, pomme de terre et petit lait) . L'abattage à huit ou dix mois et transformés en lard, saucisses, andouilles, saucissons, jambons étaient bien utilisés . Restait à cuisiner agréablement cette chair pour le bien de la maisonnée.
Il y avait aussi une vie artisanale, un forgeron, deux charrons, deux sabotiers, un menuisier, un bourrelier, un ferblantier, un couvreur. Le ferblantier allait dans les communes environnantes ; il avait une petite remorque qu'il faisait traîner par des chiens ; il passait les cuillers fourchette louches et autres outils de cuisines dans un bain d' étain , ce qui leur donnait plus d'éclat. Il faisait aussi quelques soudures et aiguisait ciseaux, couteaux. À la mort de cet homme, ce métier n'a pas eu de successeur. Le couvreur n'a eu qu'une brève existence ; le jeune homme s'étant marié et élevé sa famille , son fils ne prit pas la même direction ( j’ouvre une parenthèse pour me reprendre la première ligne de ce paragraphe) à savoir que le couvreur vécut au moins jusque la soixantaine ; c'est le métier qui ne perdura pas. Le bourrelier était un amputé de la guerre 1914 -1918, une jambe coupée au plus haut de la cuisse ; il se déplaçait avec des béquilles et une jambe de bois. Ce fût à la suite de son amputation qu'il prit ce métier. Comme les cultivateurs possédaient des chevaux , il y avait beaucoup de colliers courroies et harnais à coudre et à réparer ; il fallait lui apporter ces différentes choses à son atelier ; lui aussi dût laisser son travail. Encore jeune , une blessure assez grave avait beaucoup endommagé sa santé ; le métier ne sera pas repris. Les sabotiers , deux hommes à chaque atelier, ici le travail tout manuel , abattre les arbres au « passe-partout » scie de 1 mètres 50 qu'il faut manoeuvrer à deux, faire transporter l'arbre vers l'atelier, scier en rondins de quarante centimètres environ fendre en morceaux , repris et façonnés creusés et rabotés de différentes tailles.
En somme, un peu de la sculpture. Certains ouvriers décoraient le sabot en y gravant des dessins de fleurs ; un peu de vernis , c'était plus élégant et plus chaud pour les dimanches d’hiver . Métier qui n'a pas eu de reprise après la guerre de 1939 -1945 , patron trop âgé, enfants engagés vers d'autres situations. Les charrons ont résisté un peu plus, les charrettes ayant besoin d'entretien , roues , ridelles , dans les maisons portes-fenêtres à réparer ou remplacer ; quelquefois une construction nouvelle à garnir. Le mieux organisé fit l'acquisition d'une scierie avec moteur ; c'était bien de voir les planches tomber bien droites et sans bavures au bout du rail porteur. L'atelier étant sur le chemin des écoliers , c'était une attraction supplémentaire en allant ou revenant de l'école lorsque tournait le moteur. On commençait à s'équiper de moteur dans les fermes un peu importantes ; une transmission installée dans une grange ou en gare permettait de faire tourner broyeur d’ajoncs ou de grains , coupe-racines , moulins divers. Petits moteurs à essence au bruit très caractéristique. Revenons aux artisans ; le forgeron réparateur de matériel agricole a résisté le mieux à cet exode artisanal. Au Bodéo , nous avions la chance de posséder un titulaire très astucieux dans ce domaine. Henri ,c'était son prénom avait fait quelques années comme ouvrier au canton voisin chez un marchand de matériel agricole ; il comprit l'intérêt qu'il y avait à connaître la mécanique. Avec un jeune ouvrier au même prénom, il fit prospérer cette activité . Les faucheuses faneuses abondaient à l'époque des travaux de saison.
Autrement, les chevaux à ferrer, les brabants à mettre en ordre pour les labours, les outils pioches, haches, tranchets , pour des soudures, les roues de charrettes qu’il fallait cercler de fer entretenaient une occupation permanente. L'épouse tenait le café, on y vendait du cidre, de la bière, du vin, de l'alcool , des apéritifs en petite quantité. La clientèle était surtout faite des cultivateurs qui venaient pour un service du forgeron, ferrage de chevaux, réparation de machines ou outils agricoles. Un jeu de quilles, utilisé les dimanches après-midi, par les hommes, permettait de vendre quelques boissons. Ce jeu n'était pas parvenu à mobiliser la jeunesse. La proximité de l'étang attirait quelques passionnés, rares avant 20 ans. Deux ou trois marginaux, venus je ne sais d'où, couchant dans des granges ou étables, sillonnaient le pays ; leur principale occupation la pêche dans les rivières ou étangs ( Bosméléac , St Bihy , Corlay ) ; le poisson était bien accepté ; le prix débattu avec le client ; l'argent passait souvent en boisson ; ces hommes avaient quitté leurs épouses ou ne s'étaient pas marié, ne trouvant pas de métier à leur goût. Suivant les saisons, lorsque le travail était abondant, les cultivateurs les prenaient pour quelques jours : binage, fenaison, moisson, récolte des pommes de terre, betteraves rutabagas ; un petit salaire leur était attribué. Quand arrivaient les jours d' hiver , le paysan les ayant occupés n' hésitaient pas à leur offrir le local pour s'abriter et la nourriture. Ces hommes n'étaient pas violents , ils voulaient simplement leur liberté d'action.
Une activité qui rassemblait les hommes et femmes durant un mois environ était le battage des récoltes au mois d'Août et Septembre. Les premières batteuses apparurent en 1921 ; c'était un matériel lourd monté sur des roues en fer ; le moteur qui fonctionnait à la vapeur était le plus difficile à déplacer , composé de lourdes ferrures, et d'une cuve portant l'eau nécessaire à faire la vapeur, le foyer pour mettre bois ou charbon aussi important ; deux grands volant permettaient de maintenir une certaine vitesse lorsque l'élan était donné. La batteuse, un peu moins lourde puisque la structure était du bois, plus volumineuse que le moteur ; les gerbes entassées dans l'aire étaient étalées sur la partie supérieure de la machine et engagées manuellement vers le batteur, gros disque muni de lames horizontales qui emmenaient paille et grain à l'intérieur, où se faisait la séparation du grain et de la paille par une puissante ventilation ; poulies et courroies garnissaient les bords de l'instrument. Six mètres environ séparaient le moteur de la batteuse, reliée par une grosse courroie entraîneuse des divers mouvements. Ce fût d'abord les plus gros exploitants qui se groupèrent pour l'achat d'un premier matériel en 1921. Cette première société se dénommait « La Victoire » la deuxième association, l'année suivante ce fût « La Fermière » une troisième surtout familiale (je ne me souviens plus du nom). Ainsi divisé, chacun de ces groupements devait battre les récoltes d'une quinzaine d'exploitations petites ou grandes confondues. Comment ces associations pouvaient-elles fonctionner ?
Pour l'achat, il est probable que tous avaient versé une somme égale. Au moment de travailler, une assemblée était programmée qui fixait diverses modalités : l’heure du début du travail, les heures de pause et des repas , la présence du personnel par exploitation, désigner les hommes qui s'occuperont de la conduite , du graissage, et éventuellement des petits ennuis mécaniques, le prix de l'heure de battage, la rémunération des deux hommes qui s'occupent du fonctionnement, et placement dans les cours ou aires , mettre bien en ligne et droit, chauffer le moteur pour l'heure fixée de début du battage. Les frais de charbon graisse, huile, rémunérations et diverses fournitures courroies, petites réparations étaient l'objet d'une réunion à la fin des travaux. L'heure de battage fixée, chacun payait son dû. Le total des dépenses étant connu, il suffisait de voir la différence avec des recettes ; s'il y avait un peu plus de recettes, c'était réparti entre les sociétaires. Cette assemblée servait pour les réclamations et modifications en vue de la prochaine saison. Parlons du battage proprement dit ; lorsque les récoltes étaient rentrées un homme était libéré des travaux de l'exploitation où il était employé pour se rendre chaque jour à la ferme où se trouvait la batteuse , il fallait environ 20 personnes pour desservir la machine ; ici le patron de l'exploitation intervenait pour placer le personnel en fonction de ses possibilités ; les jeunes moins de vingt ans étaient porteurs d'eau pour alimenter le moteur qui faisait une grosse consommation de vapeur ; il y avait les gerbes à avancer vers la batteuse , couper les liens, surveiller le remplissage des sacs, porter les débris expulsés par la ventilation.
D'autres postes pour les hommes, engrenages, porteurs de grain dans les greniers, porteurs de paille, tasseurs pour la paille en meule , le travail était rendu pénible du fait de la poussière et souvent de la chaleur. La jeunesse des groupes de travail, l'ambiance où une sorte d'émulation émanait entre les travailleurs et travailleuses, faisait oublier les fatigues du moment. La nourriture abondante , les conversations variées, pas toujours honnêtes, amusaient un peu le personnel au cours de ces pauses. Un autre moment agréable,(pour les battous) : lorsque le travail terminé chez un sociétaire, il fallait se rendre chez un autre adhérent ; les chemins en mauvais état, et quelquefois par les champs obligeaient les cultivateurs à atteler boeufs et chevaux ; j'ai vu jusqu’à huit bêtes six bœufs et deux chevaux pour arracher de la boue ces grosses batteuses ; arrivés au lieu où devait se faire le travail , il fallait à nouveau placer ces engins bien en ligne et droit, faire le feu dans la chaudière. Pour tout ce déménagement , il fallait au moins deux heures. Les jeunes profitaient de ce moment, pour faire visite aux autres chantiers de battage qui travaillaient dans d'autres villages ; rencontres amicales ; les plus audacieux portaient quelques sacs de grain ou des fourchées paille, avant d'entraîner une jeune fille vers le tas de paille pour l' embrasser , ils repartaient heureux de leurs exploits reprendre la tâche momentanément interrompue par ce changement de maison. Ces travaux de battage duraient environ un mois. Ensuite, commençait l'arrachage des pommes de terre, travail manuel pénible, rentrer les pommes pour faire le cidre : boisson appréciée des hommes et travailleurs à la campagne.
Pour moudre les fruits, c'était l'occasion de réunions en soirée pour tourner le moulin et confectionner la motte .Dans le pressoir le jus récolté était ensuite versé dans les barriques très bien rincées pour la fermentation ; au bout de trois mois de décantation généralement la boisson était bonne à boire titrant quatre ou cinq degrés , pour la bonne qualité. A cette occupation correspondait la récolte des betteraves et rutabagas , légumes pour les animaux l’hiver. Puis les labours, souvent ils commençaient à la Toussaint : travaux longs, au pas des bœufs et des chevaux, le charretier en sabots le semeur également . Les pieds étaient chauds ; l'inconvénient à l'époque automne hiver , la terre collante faisait doubler ou tripler le poids des sabots. En arrivant du labour, les hommes avaient souvent des travaux à terminer : porter ou préparer les racines betteraves ou rutabagas aux animaux, hacher l’ajonc qui sera le plat de résistance des chevaux pour la nuit, donner à boire. Ces travaux, exécutés à la lampe tempête, pas avantageux , les femmes occupées à la traite des vaches, à la préparation du repas. Le matin, recommençait à peu près la même manière d'opérer le travail ; seulement le repas était pris avant de soigner les animaux et de partir au champs. En Novembre et Décembre, la durée du jour étant courte, les champs éloignés de la ferme , certains cultivateurs se suffisaient d'un casse-croûte, pain, lard, 1 litre de cidre entre 10 heures et 17 heures au champ ; c'était très vivifiant moyennant sans intempéries. Après s'être occupé des animaux de travail boeuf et chevaux, c'était le repas : soupe au pain, lard , beurre, cidre comme boisson les enfants à partir de 12 ans dans certaines fermes souvent dans les familles nombreuses les bouillies farinent de blé ou avoine étaient le repas.
Cette vision de l'époque entre deux guerres 1914-1918 et 1939- 1945 va être, je dirais en un premier temps, malmenée dans la façon de travailler ; il faut agrandir les champs ; on abat les talus puis l'État s'en mêle et c'est le remembrement décrété ; la guerre qui va tenir cinq ans passe d'abord. J'aborde ici le moment où il va falloir accomplir les obligations du service militaire. En général, les jeunes de 18 ou 20 ans n’étaients pas réticents et quittaient volontiers leurs familles ; à quoi était-ce dû ? Peut-être famille nombreuse, besoin d'autonomie ? Voir du pays grandes villes ? Moyens de communication ? Pour moi qui avais peu voyagé et vivais un peu esseulé une certaine ambiance avec des gars de mon âge me faisait plaisir. Il y avait bien sûr la menace très nuancée d'un certain chancelier en Allemagne qui ne se cachait pas pour menacer les peuples aux frontières de son pays mais nous ne lisions pas les journaux ou si peu. Je répondais donc aux ordres lorsque fût l’ heure , d'abord, le recensement de la classe 34, sujets nés en 1914. Conseil de révision à Ploeuc (Juin 1935) .Appel sous les drapeaux (Octobre 1935) Saint-Brieuc Caserne Charner pour deux années. Mon père, qui a accepté les fonctions de maire en 1927 embauche pour lui aider aux travaux des champs un cousin qui a 18 ans, Yves Marie Goupy. La vie de caserne devient vite une répétition. La marche est le grand passe-temps, le maniement des armes, le tir malheureusement des armes plus ou moins en ordre. Des manoeuvres sur les terres environnantes la ville plus vers Plérin, Ploufragan , Trémuson le tir sur la plage à Cesson vers la falaise en direction de Saint-Ilan.
Plus important en fin d'été 1936, nous nous rendons à Coëtquidan à pied, manoeuvres plus importantes du régiment 71e Régiment d'Infanterie. Pour se rendre, nous faisons étape à Moncontour, St Vran Mauron et Coëtquidan . Le retour s'effectua en train. Le logement constitué de baraquements en bois très froid l'hiver. En 1937, un autres séjour ; arrivée au camp au mois d'avril , aller et retour en train . Un incident gênant se produisit un peu avant Saint-Brieuc, un occupant du wagon où je me trouvais tira le signal d'alarme. Le train s'arrêta. Personne ne s'étant immédiatement constitué coupable le convoi rejoint Saint-Brieuc. Première sanction : les occupants du wagon où avait été l'alarme, rentrèrent au casernement à la fin. Le lendemain sur un schéma de wagon et individuellement nous dûmes indiquer la place que nous occupions au moment de l'incident. Finalement un camarade qui avait un peu trop arrosé ce retour ne pût se situer ou du moins se trompat et eut un mois de prison comme punition. Ce temps s'ajoutait au temps légal du service militaire .Je suis rentré au Bodéo fin Septembre 1937. Peu de choses avaient évolué. Yves-Marie était parti remplacé par son frère Corentin qui était mon filleul, âgé de 11 ans. Corentin surveille les animaux ,va à l'école publique, fréquente le catéchisme, aide sa tante Hélène aux travaux de la basse-cour ,lapins, poules , préparer petit bois pour le foyer ; il n'y a pas de fourneau ; tout se cuit dans le foyer ( trépied ). Mon père qui n'a pas de permanence, ni secrétaire se rend chaque jour à la mairie située à l'étage de l'ancienne école au bas du bourg. Les gens qui veulent des renseignements arrivent directement à la maison inconvénient majeur souvent à l'heure du repas ou bien le dimanche avant ou après la messe.
Ceci sera bientôt arrêté ; des décrets préfectoraux exigent qu'il y ait une secrétaire ; je ne me souviens pas des raisons invoquées par l'administration : toujours est-il que mon père désigne son épouse qui fût acceptée. L'emploi de secrétaire obligeait être affilié aux assurances sociales ; ce qui était nouveau difficilement accepté par des personnes approchant la cinquantaine. Il fallait payer en vue de la retraite. La situation mondiale s'aggrave, le chancelier allemand qui a réussi à convaincre une majorité de son peuple vers la suprématie en Europe menace les petits pays environnants. 1938 : des conférences et rassemblements en Europe des chefs de gouvernement essaient de trouver des solutions pacifiques, rien n'arrêtera le dictateur. La France rentre en guerre en Septembre 1939 ; depuis un mois dans nos campagnes, on voyait arriver cette échéance. La moisson était terminée ,les battages commençaient. La société (ou groupes de cultivateurs) dont nous faisions partie était Livéry. Les cloches ont sonné : pas de doute, c'était la guerre. Il était environ 16 heures ; le travail fût interrompu, tous les hommes se rendirent au bourg ; les cafés (il y a en avait cinq à l'époque) étaient remplis ; on parlait de tout et de rien, loin de la réalité les combattants de 1914 1118 se mêlaient aux conversations étaient plus nuancés , ayant été les acteurs de la Grande Guerre. Certaines catégories de combattants étaient déjà partis ainsi le Génie ; d'autres suivirent chaque jour ; je dus quitter le Bodéo le sixième jour de la mobilisation avec deux autres mobilisés de la commune ; nous devions nous rendre à l'Hermitage-Lorge, gare la plus proche du domicile ; un frère de l'un d’eux nous y conduit.
Ce petit délai entre la mobilisation et le départ me permit d'assister au passage des chevaux réquisitionnés pour la guerre de voir aussi mes grands-parents Alleno Joseph et son épouse Magdeleine Texier, mes oncles et tantes , parrain (Gilles Alleno) tous anxieux sur la suite des événements. Je ne devais plus revoir mes grands-parents qui décédèrent à peu de temps d'intervalle au début de 1940 : le grand-père , 87 ans son épouse 75 si mes souvenirs sont bons. Notre départ en train à l'Hermitage en retard sur l'horaire , bondé et d'hommes mobilisés conversations confuses mais en majorité optimistes. Saint-Brieuc, plus de deux heures de retard ; nous sommes parvenus au Mans à la tombée de la nuit, la gare envahie d'hommes qui attendaient un train en diverses directions, pour moi c'était Argentan. Dans cette gare du Mans , beaucoup avaient déjà trop bu, certains bravaient en marmonnant des refrains connus repris par d'autres peut-être pour oublier le départ. Une ambiance qui manquait de sérénité pour l'heure. L'arrivée à Argentan au petit matin fût aussi triste, il avait gelé ; tous plus ou moins frigorifiés, après cette nuit froide cherchions un lieu afin de prendre une consommation chaude. Où je me présentais ,le cafetier ne servait plus de cette boisson. J' acceptai comme les copains l'eau chaude accompagnée d'alcool en bon grog ensuite au soleil et à travers cette petite ville, nous sommes dirigés vers le casernement pour recevoir l'habillement, c'était le début, je peux l'avouer aujourd'hui du temps perdu. Les journées à Argentan sont monotones ; nos supérieurs semblent aussi embarrassés que nous ; l'emploi du temps se limite à quelques sorties dans la campagne environnante et commentaire sur des actions aux frontières de part et d'autre sens mis en oeuvre de gros moyens , petite tension.
Vers le 15 octobre 1939, nous quittons Argentan pour la frontière belge. Nous passons dans plusieurs gares françaises, plus ou moins acclamés. Ces mouvements de population m’ont semblé venir d'anciens combattants et de femmes ayant souvenirs d’un temps encore peu éloigné de 1914 1918 ; les régions traversées avaient subi de gros dommages en biens ou victimes civiles de bombardements aveugles, de troupes allemandes. Nous sommes débarqués dans la région de Charleville-Mézières installés dans des maisons réquisitionnées ou hangars. Pour nous occuper, nous entreprenons des travaux de défense vers la frontière à 8 km de notre lieu de refuge. Au mois de novembre 1939, nous prenons un autre habitat cette fois, près des travaux je crois commune de Regnovest dans un hangar étable nous sommes sur le foin au grenier ; il faut utiliser l'échelle pour se reposer ; pas pratique le foin devient en poussière peu hygiénique. Début janvier 1940, je suis affecté d'un zona . J'ai été évacué vers l'hôpital militaire à Rethel ; deux jours pour s'y rendre, en camionnette pas très confortable , la neige recouvrait le sol. L'hôpital, c'est une école réquisitionnée pour recevoir les soldats éclopés généralement pas trop atteints ; l'ambiance n'est pas morose, mon traitement : rester au lit et boisson chaude ; j'ai un bon lit , mieux que dans le grenier de foin. En quittant cet établissement,j'ai eu droit à 15 jours de convalescence appréciable, plus 10 jours de permission régulière si bien que arrivé au Bodéo le 8 février 1940 . J’ai rejoint mon régiment aux environs de Metz le 10 mars 1940. Cette période au pays me permit de faire quelques travaux de saison, émonder, fagotter en compagnie de Corentin Charles Goupy qui fût le grand soutien des parents durant cinq années.
Je rejoignai le 93e Régiment d'Infanterie vers le 10 mars 1940 quelque part en Moselle aux environs de Metz. Il y a du soleil ; cependant la neige subsiste dans les fossés , l'hiver a été rude, les pissenlits pointent dans quelques vallées privilégiés ; les outils de terrassement nous sont utiles pour extraire cette plante et fournir une première salade. Au mois de Mai, nous quittons ces lieux devenus familiers, pour nous rendre à Hagondange, ville industrielle avec ses hauts fourneaux et en conséquence ouvrière. Prévu pour être de repos, notre séjour va subir les premiers bombardements avec l'attaque surprise des 10 et 11 mai 1940, quelques bombes ont été lâchées sur cette cité. Avant de partir dès la nuit, nous avons vu ses habitants angoissés ; cette fois, la guerre allait se faire meurtrière. Les nuits suivantes, nous marchions toute la nuit. Le jour, nous nous abritions dans des hangars ou maisons souvent vides des habitants ; ne pas allumer de feu ni circuler dans les cours sans savoir où devait s'arrêter notre marche. Les avions ennemis survolaient le pays ; nous n'avions aucune information sur les positions de l'adversaire. Arrivé dans une grande exploitation agricole de l'Aisne , nous nous sommes un peu renseignés ; la situation est grave. Avec un camarade nous nous sommes rendus à la maison du maître des lieux ; comme la batteuse tournait, nous avons entamé une conversation sur la destination de la récolte ; cette personne a répondu « si c'était pour nous ! » Ces quelques paroles résumaient la situation. Quittant ce coin encore paisible, le mois de mai finissant, nous sommes repartis plus au sud pour arriver la nuit à Crécy-Au- Mont ;les consignes sont sévères , ne pas faire de feu , ne pas voyager, ni faire de bruit ; l’ennemi paraît-il se trouve à 500 m.
Le temps semble long à attendre. Le sergent de notre groupe après un entretien avec son supérieur le lieutenant décide le 4 Juin de faire un essai avec notre petit canon de 60 mm vers la limite où doit se trouver la ligne adverse. Cela convenu, pour que ce soit réussi, nous décidons d'aller préparer l'emplacement du matériel la veille , ce qui fût fait; l'heure retenue pour le tir fût retenue : 4 heures 45. Le 5 Juin, à l'heure prévue, à l'emplacement, chacun à son poste le chef commande : "Feu!" Et c'est parti pour une dizaine d'obus de 60 mm ; l'outil a parfaitement joué son rôle, nous devions atteindre un petit bois à environ 800 mètres ; nous n'en saurons jamais plus. Nous retournons à notre logement ; le soleil pointe dans un ciel sans nuage. Certains camarades descendent à la cave se reposer ; je décide de rester debout près de la maison. Un troupeau de vaches monte la route en meuglant, les pis bien gonflés. J'en profite et tire au moins 3 litres de lait que je dépose à la maison, pensant m'en servir au déjeuner pour notre groupe. C'est à ce moment qu'éclate un premier obus allemands sur ce petit bourg ; il est à peine six heures; à trois près de la maison nous nous terrons dans des trous creusés dans le jardin , courbé en deux nous subissons durant deux heures un bombardement intense ; à un moment la terre du jardin nous a éclaboussé ; un obus avait éclaté sans doute bien près. Puis, peu à peu, nous avons senti les tirs s'éloigner, des avions nous ont survolé, allemands probables. Des camarades sont arrivés blessés , cherchant les chefs et les moyens de premiers secours. Le calme complet fût vers midi ; à ce moment, arriva un homme du groupe de commandements nous annoncer que nous étions encerclés autrement dit prisonniers, inutile de chercher à se sauver.
Notre sergent que nous n'avions pas aperçu depuis le fort bombardement, avait été tué au pignon de la maison et gisait là, les bras en croix, la face contre terre. Nous nous réfugions dans la cave ; les hypothèses, les conversations sont tristes ; certains camarades ont des enfants, une épouse et pleurent. Vers trois heures , un tir de mitraillette crépite dans le jardin ; le chef sort et est interpelé très fort en termes inconnus ( il lui est dit de le lever les bras) Et nous devons sortir de la cave , en levant les bras , les soldats allemands nous interpellent : « Avez-vous des pistolets, des grenades ? » . Groupés sur la route, dépouillés de nos ceinturons, baîonnettes, cartouchières , nous paraissons en ce moment , sous le commandement de nos ennemis. Un chef allemand aperçoit notre sergent étendu mort, nous commande de le déposer dans un trou où nous nous trouvions ce matin à l'abri. C'est à ce moment que nous aurons pu supposer pourquoi il se trouvait à cet endroit ; affolé par le bombardement, il avait pris des grenades offensives et devait se déplacer dans ce jardinet en les jetant dans les chemins qui entouraient cette propriété car en saisissant l'un de ses bras , la main s'est détendue libérant la grenade qui a éclaté nous donnant une grande frayeur ; le soldat allemand qui ne commandait plus légèrement atteints à la main par la cuillère ; l'opération d'enterrement s'arrêta là.
Nous , qui avions un petit canon de 60 mm fûmes obligés de le démonter ( il y avait quatre pièces principales) et de le porter. À la nuit, et lors d'un arrêt de la colonne de prisonniers, nous avons décidé de nous libérer de ce fardeau non négligeable. La peine nous semblait déjà moins pénible. J'ai retenu quelques noms de localités traversées : Le Prémontré, le 6 Saint-Gobain (fouille) , le 7 Saint-Quentin premier casse-croûte, Cambrai, Hirson, Beauraing Belgique le 10 en train vers Trèves (Allemagne : camp jeunesses hitlériennes). Nous avons eu de l'orge décortiquée. Départ le 12 juin ; arrivée à Hammerstein le 14 en Poméranie. Nous avons eu un bouillon aux environs de Berlin sans descendre de nos wagons à bestiaux, entassés au maximum : pénible trajet. À la descente du train, les soldats allemands sont heureux de nous annoncer la rentrée de leurs troupes à Paris. C'était vrai, dans un premier temps, nous ne voulions pas croire à cela ; il fallait bien y croire l'avancée continua jusqu'à la Loire ; la Bretagne, qui n'avait jamais subi l'occupation allemande fut également envahie dès cette époque à la grosse surprise de la population. Comme nous l'avaient dit les soldats allemands qui nous avaient fait prisonniers , la guerre était terminée pour nous. Dans le vaste camp où nous fûmes enfermés, on batissait des baraquements ; l'arrivée abondante de prisonniers obligeait les autorités responsables à monter les tentes plus vite. Dressées pour abriter cette population d'hommes blancs et noirs de pays chauds ou tempérés. Le problème de l'alimentation se posait également. Dans un premier temps nous recevions le matin une boisson chaude (orge grillée) paraît-il ; le midi un genre de bouillon composé de pommes de terre , rutabagas ; dans la soirée un morceau de pain compact bien gris grossièrement moulu accompagnait d'une fine tranche de saucisson ; c'était le seul apport de pain de la journée ;
l'eau à volonté, des pompes disséminées dans l'espace clos de barbelés et surveillé grâce à des miradors de cinq mètres de haut ; des w.c. du plus simple modèle, très nécessaires, étant donné la nourriture et l'état de santé des soldats français et autres; la vermine poux nous envahissait; peu d'hygiène. Des conditions de vie qui m'incitèrent à chercher à sortir de là. Certains camarades étaient embauchés pour des travaux à la campagne, je décidai de m'inscrire. Début juillet 1940, les travaux devenaient plus pressants ; il manquait des hommes pour la moisson dans les grandes exploitations. Avant de partir nous avons subi des visites (état de santé ) et la désinfection ; très bonne initiative, dépouillés de nos vêtements qui étaient stérilisés dans une pièce ; au bout d'une heure environ nous reprenons nos hardes ; il faut dire aussi que nous étions passés au coiffeur cheveux à ras certains avaient peine à se reconnaitre. Pénible mais ce fut efficace ; avec quelques précautions élémentaires ,nous ne fumes plus inquiétés de ces bestioles. Le départ au travail se fit le 15 juillet au matin vers 10 heures. La veille, le 14 juillet nous avions pu assister à une messe dite par un prêtre catholique allemand ; c'était un homme âgé qui devait avoir probablement des problèmes d'ouïe avec des appareils aux oreilles ; au moment de l'homélie et nous a adressé la parole en allemand ; certains Français ont pu nous traduire quelques passages de cet entretien. La faute n'était pas toute au peuple allemand, le comportement du peuple français avait dépassé certaines limites, de par les grèves et les mouvements sociaux, entraînant un désordre indigné de notre pays et demandant un repentir, voire une pénitence. Les volontaires pour le travail furent rassemblés le lendemain.
Arrivèrent des carrioles pour nous conduire dans la campagne environnante. Nous sommes montés à 11 dans notre voiture avec une sentinelle armée d'un long fusil si, un conducteur pour les deux chevaux et un contremaître. Une forêt plantée de maigres arbustes à traverser, avant de trouver des champs d'orge d'avoine, de seigle, de pommes de terre. Les céréales étaient mûrissantes, les seigle souvent penchés soulignaient que le vent était présent sur cette plaine Poméranienne.. Après une heure de route, nous sommes arrivées à ce village de Grunbuch , cinq exploitations bien distinctes les unes des autres, entourées d'une barricade en bois avec une habitation pour la famille (prévue) une grange ou hangar , une étable ; aucun des bâtiments ne se touchant. Nous avons occupé une exploitation, la maison était habitée avant nous par des Polonais , prisonniers dès 1939. Les terres devant être attribuées à des paysans allemands, la répartition n'avait pas été faite avant la guerre. La maison comprenait quatre pièces ; deux furent occupées par nous (dortoir) ,une pour la cuisine et l'autre à la sentinelle ; à la cave, il y avait le charbon et quelquefois des pommes de terre. Nous y avons déposé nos baluchons bien simples et légers et nous sommes allés à quatre prendre le repas à la maison du directeur à environ 150 m; le repas était prêt ; deux bidons de lait aux trois quarts constituaient cette première pitance ; la sentinelle accompagnait aller et retour les hommes de la corvée ; de grosses aux assiettes en terre cuitent nous furent attribuées ; avant d'aller prendre son repas, le gardien pris bien soin de nous enfermer à clef ; il en sera ainsi un certain temps. Ce repas fut bien apprécié : pommes de terre, lardons et autre condiments. L'après-midi, conduit par le gardien à la maison du chef muni de scies et de haches, nous avons cassé du bois, regardés curieusement par les employés civils de la maison.
Une petite anecdote au sujet de cette première prestation de services ; mon camarade pour scier le bois, un solide pyrénéen des environs de Lourdes qui avait laissé sa barbe pousser en dépit d'être prisonnier était très sérieux à la besogne ; moi je pense plus décontracté, m'arrêtai facilement à regarder ces Allemands . Isidore, c'était le nom de mon compagnon, de peur sans doute de prendre un blâme me rappelait à l’ordre en me disant gentiment ; « attention, ils te regardent ».Vers quatre heures il y eut la pause un bon quart (d'heure) et chacun reçut une tartine de pain (un peu noire) qui nous fit bien plaisir. Le travail arrêta vers sept heures et il nous fut servi une soupe. La soirée fut triste, enfermés ce premier jour dans nos chambres, et dans la maison avec des barreaux de fer aux fenêtres qui nous rappelaient notre triste condition. Ce fut à peu près chaque jour le même règlement ; au bout d'une quinzaine nous étions toujours enfermés dans la maison lorsque le gardien s'absentait ; mais liberté à l'intérieur ce qui nous permit de nous connaître un peu plus et d'organiser quelques distractions, jeux, suppositions au sujet de la guerre. Il fallut plus d'un mois pour être autorisé à sortir par la cour le dimanche en liberté. À ce moment, un homme fut demandé pour s’ occuper des vaches, la traite , le transport du lait au lieu d'embarquement , le nettoyage des étables ; comme l'été arrivait , les vaches allaient paître. Un prisonnier des plus âgés fût désigné pour la surveillance des animaux ; un troisième homme se rendait à la maison du directeur pour aider aux préparations des repas, épluchage des légumes, nettoyage vaisselle et autres corvées. Les premières correspondances venant de France arrivèrent au mois d'octobre, beaucoup de choses avaient changé ,souvent triste c'est à ce moment que nous furent distribuées les cartes qui nous permettaient deux fois par mois de donner quelques nouvelles à nos familles ;
c'était limité, mais ce que nous pouvions dire se résumait aussi à peu de chose très monotone. Notre état de santé était pour les familles primordiales pour nous également les pères plus motivés que les célibataires. J'en faisais partie; les premiers colis parvinrent aux environs de Noël 1940 ; bienvenus certainement, c'était comme un deuxième lien avec nos familles. Au sujet des colis, le gardien devait en contrôler le contenu, ce qu'il faisait en général sans difficulté ; l'alcool était interdit le contenu du colis était mis en commun, le dimanche soir nous ne recevions pas de repas chauds, le cuisinier de notre groupe rassemblait les paquets de pâtes pour en faire suffisamment avec les matières grasses qui nous parvenaient de France. Le chocolat mis en commun faisait un déjeuner amélioré le dimanche ; le lait fourni par le vacher français complice dans l'affaire. Au début de notre séjour, le dimanche faisions le lavage de chemises, vêtements, chaussettes et raccommodage. Vers Noël, nous avons été autorisé à nous rassembler pour organiser des Fêtes Messes Chants Musique pour oublier et penser à des temps meilleurs. Ce moment à notre commando fut amplifié par la maîtresse de la maison du Directeur qui nous avait préparé pour ce premier Noël à chacun un paquet avec des noix quelques biscuits et quelques bouteilles de vin blanc d'Alsace ; nous fûmes très surpris de ce geste, il ne se renouvela pas. Peut-être pensait-elle comme nous l'an prochain ce sera terminé, hélas ? La neige était présente en Poméranie, nos habillements mal adaptés, les chaussures surtout, les pieds en prenaient un coup, les mains également ; chaque soir les réparations et coutures s'imposaient.
Les travaux d' hiver, dans cette région froide balayée par des vents d' Est se limitaient , après la rentrée des pommes de terre des betteraves rutabagas et des semailles de seigle, à l'entretien au battage des grains et paillettes pour les animaux en étable vaches laitières, boeufs à l'engrais, cochons. Ce qui nous occupait autour de la ferme. Les récoltes engrangées au moment de la moisson fournissaient un travail réchauffant pour la saison. Les pommes de terre en silos demandaient beaucoup d'énergie. Les silos souvent glacés, il fallait avec le pique de la pioche crever la couche de terre , arriver à une couche de paille et atteindre les tubercules généralement bien conservés. S'il fallait se rendre à la gare faire des wagons,, les chariots étaient garnis d'une épaisseur de 10 cm de paille, l'intérieur du wagon également, avant de décharger les pommes de terre. Une autre utilisation de tubercules consistait à en extraire le jus par cuisson afin de faire un alcool (schnaps) d'un goût pas très fin ; le reste, un liquide ressemblant à de la lie était distribué aux animaux à l'étable de manière libre-service sans rationnement et chaud. Ceci était le premier hiver, le printemps arriva brusquement, du moins ce fût notre impression ; laisser certains vêtements utiles pour nous abriter des intempéries fût un soulagement ; réduits à huit heures de présence dehors au travail , nous sommes remontés à 10 heures pour le 15 Avril. Le rythme était pris ; les travaux de printemps avec ses beaux jours, et de moins beaux ; il fallait chaque matin prendre la fourche et la pelle suivis du gardien muni de son grand fusil intraitable sur les horaires ; ça faisait partie des contraintes. La guerre se faisait sentir plus durement envers nos adversaires, le palefrenier allemand homme d'une trentaine d'années dût quitter son emploi, pour obligations militaires .
Je fus désigné pour accomplir cette tâche ( palefrenier) . Il fallait soigner les 16 chevaux que comptait l'écurie : chevaux de trait probablement pas tous allemands ; ils ne répondaient pas aux mêmes commandements. Le palefrenier devait être à l'écurie au moins une demi-heure avant les charretiers, qui eux précédaient d'un quart d'heure le moment du travail ; ce moment était pour brosser et étriller les bêtes, le contremaître surveillait le déroulement de ces préparatifs et ordonnait la mise du harnais et la sortie de l'écurie. Lorsque l'étable était vide, je devais sortir le fumier, et remettre un peu de litière, pour la rentrée du milieu de journée, assurer le picotin des chevaux et la surveillance pendant l'heure du repas des charretiers ; le soir, à la fin de la journée, veiller au repas des animaux, ce qui me faisait rentrer au commando une demi-heure après les camarades ; le dimanche assurer le service matin et soir. La nourriture des chevaux composés de paille hachée et son plus mélasse mélangée mouillée dans l'auge. Un peu de verdure au mois de juin, de la luzerne. Au mois de mars 1943, nous quittâmes cette exploitation à trois pour une ferme un peu maraîchère et fleuriste. C'est là que je rencontrai Garnier et Jean-Baptiste. Le travail également au grand air nous étions 11 Français , 4 Polonais ,1 Ukrainien, une famille, père , mère et enfant russes. Les travaux manuels consistaient à l'entretien et de l'aménagement des serres sous vitres, le transport du fumier en brouette ou civière, bêcher, ensemencer, sarcler, préparer les légumes pour les marchés ; les premiers choux paumés sous serres de verre ne nécessitaient pas beaucoup de main-d'oeuvre ; transplantation. Les tomates qui suivaient la culture des choux étaient également exigeantes. L'été, carotte et poireaux de plein champ, haricots étaient des importants légumes. Approvisionner le marché à Eustellin , ville à environ 5 km de l'exploitation.
Dans ce commando, je devais rencontrer Garnier chef du groupe, sa mission consistait principalement à transmettre les ordres du patron pour les travaux; les réclamations que nous avions à faire étaient faites par lui ; il travaillait comme nous et puis Jean-Baptiste Ségaut : son rôle, cuisinier ; il faisait chauffer l'eau pour les boissons chaudes (ersatz de café , soupes , éplucher les pommes de terre, les faire cuire, entretenir propres les pièces, cuisine, lavabo, dortoir). Tout au sous-sol , un peu de lumière par le soupirail fermé l'hiver par du fumier de chevaux. Le dortoir, constitué d'un gros plancher à 50 cm au-dessus du sol, deux couvertures, qu'il nous fallait secouer au grand air le dimanche , le lavabo : une grande pièce cimentée avec une cuve pour prendre l'eau ; à la cuisine, nous la faisions chauffer, si le besoin se faisait sentir ; c'est là également que se faisait la lessive des vêtements. Jean-Baptiste Ségaut cuisinier pouvait être appelé à donner un coup de main à la personne qui s'occupait du patron et de son épouse ; le patron environ 60 ans, sa femme un peu moins, mais handicapé jambe de bois suite à un accident de voiture. Je suis resté dans ce lieu jusque fin janvier 1945. Sous la poussée des troupes russes , les civils allemands ,femmes et enfants principalement, quittaient leur domicile, refluaient dans les bois ou chez des amis, pensant trouver un refuge provisoirement ; c'est ainsi que nos patrons quittèrent le domicile au même moment que nous. La neige qui recouvrait le sol semblait un inconvénient. Plus difficile (de) marcher , nous fîmes de minuscules traîneaux qui nous permirent pendant deux jours de transporter nos quelques paquets et réserves alimentaires pour subsister. La neige ayant commencé à fondre, il fallut abandonner nos luges pour prendre à dos le minimum nécessaire.
La nuit, nous trouvions des hangars à fourrage à peu près vides à cette époque pour nous abriter ; l'exode important faisait que les lieux d'arrêt étaient complets; de petites lumières éclairaient des groupes d'hommes de plusieurs nationalités, naviguant sans but précis qui repartaient au matin dans le froid Février.. Dans cette île à l'embouchure de l'Oder, un répit dans l'avancée des troupes russes fit que nous fûmes à nouveau employés dans de petites exploitations agricoles. Des Ukrainiens civils étaient avant nous occupés dans les lieux. La ferme où j'étais avait un employé de cette nationalité. Les employeurs ne l'aimaient pas. Pourquoi ? Si quelque chose disparaissait, on l’accusait ; il se défendait, avec raison je crois. Le séjour ne dura qu’environ un mois; des bombardements de ports sur la mer Baltique, précédèrent une nouvelle offensive de l'ennemi sur l'île fin Avril et nous quittèrent ce coin le 27 avril ; nous étions en pleine plantation de pommes de terre. L'ordre de départ dû arriver dans la matinée ; tout fût abandonné sur place ; nos employeurs devaient nous assurer la subsistance pour deux jours ; je reçus mes rations en un pain coupé en tranches avec un peu de matière grasse. Le raisonnement des habitants avait changé en 24 heures ; maintenant ils maudissaient le grand parti. De nouveau en exode , les Russes occupent le pays ; le 8 Mai nous arrivons dans une ville , Prenzlau complètement démolie, ponts éventrés, immeubles encore fumants, poussières soulevées par les convois militaires ; c'est dans ce décor que nous voyons une voiture s'approcher de notre groupe et nous annoncer la fin des hostilités, et la mort du principal Hitler. Heureux bien sûr de cette nouvelle, nous avons décidé de trouver un lieu où nous pourrions stationner en attendant d'autres informations plus rassurantes sur le retour.
À proximité de Prenzlau , un camp d'officiers belges ; nous avons rejoint cet endroit ; une grande salle de sports nous fût attribuée pour nous abriter ; la question ravitaillement restait à résoudre ; la troupe russe recevait sans doute, mais belges et français : inconnus au bataillon ! Pour arriver jusque-là, certains groupes avaient trouvé des chevaux abandonnés dans la campagne qui leur servaient au transport de quelques bagages ; alors, sans plus de façon, on sacrifiait ces animaux pour survivre ou ne pas mourir de faim. Ceci dura jusqu'au 25 Mai; dans la matinée arrivèrent des camions russes, c'était pour nous. Cette troupe russe devait nous conduire à un camp où nous devions être laissés aux Anglais. De ce lieu, nous aurions pu regagner la France en avion, ce ne fût pas le cas. Dès le lendemain, un autre convoi fût organisé, avec les Anglais par la route bien organisé, discipliné, avec moto sur les côtés de surveillance ; après ce parcours nous fûmes pris et emmenés dans le train ; une première étape en wagon découvert, un orage nous a copieusement arrosé en approchant la frontière hollandaise nous avons eu droit à un transport plus confortable traversant Pays-Bas et Belgique la nuit, Bruxelles dans la matinée. Nous avons été bien reçus, c'est-à-dire que nous avons pu nous alimenter convenablement. À nouveau nous prenons le train cette fois pour la France et ce fût Hazebrouck , la première étape ; dans la gare des hommes sans travail sont pressés de nous dire tout ce qui ne va pas au pays ; on ne s'arrête pas à ces pauvres boniments D'ailleurs, nous sommes sollicités par les services de santé pour passer des visites sur l'état de tous les prisonniers après cinq ans de captivité, et une telle diversité des situations. Le 2 Juin , un train est formé pour la région Ouest ; jusque Paris peu d'arrêts, ensuite vers la Normandie , arrêt au Mans ; beaucoup retrouvent ici leur destination ; des fûts de cidre sont sur les quais, j'ai goûté mais peu apprécié, il faisait chaud.
Vers Rennes ensuite, arrêt à chaque gare où quelques hommes étaient plus ou moins ____ , ce qui nous mettait dans l'ambiance de l'arrivée chez nous ,embrassades, accolades de parents, d'amis. Jusque Saint-Brieuc, ce fût le même scénario. Je dois dire que nous sommes descendus en gare de Rennes et conduits à une caserne toute proche , pour ceux qui auraient désiré quelque chose (repas) . Pour moi la journée s'est terminée à Saint-Brieuc, il était environ 19 h 30 ; un micro dans la gare annonçait le nom des hommes qui arrivaient ; beaucoup de personnes interrogeaient d'où nous arrivions ? Quel stalag ? Nos réponses ne pouvaient donner de précisions. Seulement expliquer la lenteur, souvent une seule voie de chemin de fer. N'étant pas au courant de ce qu'était préparé pour notre arrivée, j'ai opté pour la solution du retour dans nos communes par voie de voiture mise à notre disposition le lendemain matin 3 Juin. Une camionnette nous attendait vers cinq heures du matin à l'école Saint-Charles où nous nous sommes reposés quelques heures. Entre huit heures et minuit, je me suis rendu Rue de Gouédic où j'avais un oncle et une tante, Jean-Marie Fraboulet et son épouse Delphine Goupy , leurs deux enfants Jean-Marie et Armand. Ce fût un moment de nouvelles dans un dialogue décousu où l'on allait de l'existence dans cette Allemagne si décriée avant-guerre, des travaux que nous faisions, de notre nourriture. À mon tour, j'interrogeais sur les événements familiaux principalement ; d'autres nouvelles surgissaient en cours de conversation. Je rentrai vers minuit au lieu prévu, dans un Saint-Brieuc bien calme. 3 Juin 1945, vers cinq heures ; dans la rue, plusieurs camionnettes, différentes directions, pour moi , ce sera Rostrenen, à huit ou neufs et en route pétaradante et un peu cahoteuse, qu' importe nos idées ne s'arrêtent pas là, nous sommes déjà au pays. Je descends aux quatre chemins, en fait la route de Corlay et le croisement de la route Saint-Martin, La Harmoye ; au revoir aux camarades qui m'ont accompagné depuis Saint-Brieuc, je ne les ai point revus ; dans le même moment … j'aperçois , route de La Harmoye un valet de ferme matinale qui se rend au champ chercher le fourrage de la journée des animaux, du trèfle. Il est 5 h .
J'entends les cloches du Bodéo , le soleil est présent, encore 1 km et je serai au bout ; jusqu'au milieu du pays personne ; tout de même voilà un homme qui fait fonction de bedeau , il revient de l'église sonner l'angélus, il me reconnaît dans cette capote usagée et m’étreint dans ses bras, heureux de me revoir ; quelques paroles sur ma santé. De sa fenêtre, l'oncle Paul a vu la scène et le voilà sur la route, même accueil ; ce sont donc deux anciens combattants de la guerre 1914-1918 qui m'ont vu les premiers.. L'oncle Paul m'oblige à rentrer chez lui, il veut prévenir mes parents de mon arrivée, ma tante Anne-Marie son épouse m'a également embrassé et chauffé un café, j'en suis pas bien friand en ce moment, les minutes passent ; j'arrive à la maison , la messe du matin sonne ; ma mère déjà en pleurs , peut à peine s'exprimer, mon père également, et je crois que tout le monde pleure ; l'oncle Paul m'a suivi à la maison. Conversations sans suite, on voudrait savoir tout et tout de suite. Mais ma mère veut se rendre à l'église et me laisse son déjeuner, c’est le jour de la Fête-Dieu , la procession va venir au haut du bourg ; les maîtresses de maison doivent décorer les demeures sur le parcours du Saint-Sacrement, c'est pourquoi elle veut assister à la messe du matin. Mon filleul , Corentin Charles Goupy arrive à son tour ; il a été couper et chercher le fourrage des animaux ; il a grandi normalement 13 ans à mon départ , il a 18 ans; ému aux larmes, il ne sait pas trop comment poser les questions, ça se comprend. La messe terminée, ma mère a dû se poser beaucoup de problèmes avec ce retour inopiné, nous arrivions sans avoir eu les moyens de prévenir nos familles ou bien les nouvelles arrivaient après notre retour depuis l'arrêt des combats le 8 mai la confusion était encore totale.
Ma mère était d'autant plus ennuyée que je n'avais plus de vêtements propres pour les jours de fête ; mon filleul grandissant les utilisait, c'était normal ; après entretien avec l'oncle Paul qui arrivait en retraite, j'ai pu être convenablement vêtu pour la messe de 10 heures; dans son homélie, Mr Ange Person n'a pas manqué de signaler mon retour ; j'étais le dernier. Ce M. Person avait de son initiative personnelle décidé que les cloches sonneraient à toute volée à l'arrivée d'un prisonnier. Après la cérémonie beaucoup de poignées de main et d'embrassades. Un camarade, rentré mars ou avril faisait ce jour là une réunion familiale en vue de son prochain mariage, je fus invité surprise ; nous étions quatre ou cinq à avoir répondu à l'invitation ; les conversations furent dominées par cette vie de captif pendant cinq ans. En même temps, nous nous informions de ce qui s'était passé au pays, conversation à bâtons rompus sur le menu , notre point de vue donnait peu de commentaires, tant nous avions perdu le goût du ragoût de rôti . A certains le cidre était bon, à d'autres et j'en faisais partie , il ne valait rien . Le vin , piètre qualité, le vignoble avait souffert de l'absence des bons vignerons. De cette première journée ayant conversé avec beaucoup de personnes, j'ai senti qu'il me faudrait beaucoup de temps pour me fondre dans le mouvement ; certains ont envisagé et accompli de former un foyer, d'autres sont partis au travail vers les régions démolies par la guerre, les grandes familles ont tout de suite su qu'il fallait voir ailleurs ; moi seul avec des parents qui m'avaient attendu cinq ans , j'ai pensé que je me devais de les accompagner dans un premier temps tous les deux, 62 ans avec beaucoup de douleurs rhumatismales, ce qui avait contraint mon père de démissionner de son mandat de maire de Le Bodéo. D'autant plus que ma mère qui était secrétaire de mairie était débordée avec les tickets de pain, de sucre , de viande et autre, les réquisitions, animaux, boeufs , vaches, chevaux, par ailleurs ,allocations familles réfugiées de Moselle, Brest , Belle Ile en Mer..
Pour vous dire que la situation fût très difficile pour eux. En 1943, lorsque mon père voulu démissionner, ce ne fût pas accepté à la préfecture, il fallut trouver dans le conseil municipal un homme pour assurer la charge ; aucun membre du conseil n'accepta, mon père dût demander le Comte de la Moussaye qui , sans être élu avait pouvoir de Maire ; ce monsieur ne connaissait rien dans l' Administration ; ce fût un ancien d'instituteur, réfugié de la Moselle qui prit en main le secrétariat ; il accomplissait son travail avec beaucoup d'ardeur malgré son âge, mais il fût mal accepté par la population du fait de sa rigueur ; il était temps que se termine la guerre. Mon père fût Maire de 1927 à 1943, je fus sollicité en 1945 ou 1946 aux premières élections après la guerre, je ne pouvais accepter, ma mère avait trop de mauvais souvenirs de cette période. Je n'étais pas motivé pour cette fonction, j'avais besoin de me fondre parmi le peuple du Bodéo où tout le monde se connaît. Pour ce qui est du travail peu d'évolutions. Comme moyen de traction ou de charrois, les chevaux et les boeufs étaient l'unique moyen, les voitures automobiles se comptaient sur les doigts d’une main, il fallait de la main-d'oeuvre féminine et masculine, les femmes au lavoir bien souvent ; comme lavoir, quelques pierres bien plates au bord d'un ruisseau, ou à proximité d'une fontaine abritée du vent de nord et ouest, travail pénible du fait des intempéries. Les hommes au champs , pour le labour à l'automne, les charrois de plantes fourragères, rutabagas, betteraves, choux ; avant la neige nettoyer les ruisseaux dans les prairies, rentrer les arbres morts et abattus par la temp@?te ; aux jours de glace dans une grange ou un hangar , scier et casser ce bois pour les foyers. Dès janvier, par temps calme, commencer l'émondage et le fagotage des branches , bois qui servira à la cuisinière, principalement pour la cuisson des crêpes et galettes.
Lorsque les terres étaient suffisamment réssuyées, conduire les fumiers sur les terres devant porter les cultures de printemps orge trèfles pommes de terre cultures fourragère ; tous ces travaux charger, décharger et épandre à la main. Mais cela va changer, la motorisation arrive à grands pas, des démonstrations ont lieu ici et là, motoculteurs, tracteurs d'abord américain ou anglais principalement pour les labours. Un jeune cultivateur bien intentionné voulut grouper quelques exploitants pour l'achat en commun d'un tracteur, lui-même promettant de conduire l'engin ; il ne fût pas compris ; cependant les cultivateurs contactés et d'autre réfléchissaient et l'on apprit , par chuchotement d'abord et plus assurée… « untel a acheté un tracteur » : réponse simpliste de la plupart « c’est pas difficile , il a les moyens, les vieux avaient de l'argent et puis il a de la surface 40 ha » Emoussés, d'autres se renseignèrent pour s'équiper quelques occasions pour s'adapter ; ce qui allait motiver les cultivateurs ce fût les outils que pouvait entraîner un tracteur ; une remorque par exemple ; on roulait plus vite, la fatigue connaît pas, la chaleur la même chose ; il y avait les intempéries mais voici les cabines pour protéger le conducteur, bref le progrès. Mon filleul Charles Corentin Goupy a quitté le Bodéo , retrouve le pays de Quintin , la gare chez sa mère Hortense Goupy et son jeune frère Paul ; les deux frères sont embauchés à la Villeneuve ferme à proximité de chez eux. Dans cette exploitation principalement laitière fournissant du lait à la ville de Quintin , un certain ordre des choses se mettait en place : heure régulière du travail, contrôle par les services vétérinaires, ce qui ne se faisait pas chez nous ; Paul occupait ce poste , il avait 15 ans ; Corentin apprit à conduire le tracteur pour les labours et les charrois. Vers 1950 , le propriétaire exploitant quitte Quintin pour la Touraine prendre l'exploitation plus grande et orientée vers les céréales.
Corentin qui conduit le tracteur fera la route plusieurs fois lors du déménagement. Paul suit son frère. Leur mère Hortense , handicapée par une paralysie faciale, décédera vers 1955 à Saint-Brieuc où elle fût hébergée chez sa fille Hortense, à la fin de ses jours. J'arrête ici le parcours descriptif de la vie de mon filleul qui avait été pour mes parents et pour moi d'un grand secours durant ces cinq années catastrophiques pour notre pays. Tout cela pour dire le doute des paysans à l'époque du machinisme débutant en Bretagne. À la fin d'une conférence sur l'évolution de l'agriculture , un cultivateur de chez nous disait à son voisin : « lorsque tu verras un tracteur chez nous , tu pourras dire que je suis fou » . Non il ne fût pas fou, moins de deux ans après ce dialogue, il s'était modernisé. L'État, le gouvernement par le Ministère de l'Agriculture va accorder des primes afin d'agrandir les pièces labourables ; vers 1960, les premiers arasements de talus par des bulldozers, 1968 : le remembrement ; on pourrait ajouter comme le dit le chansonnier , le grand chambardement. Je reviens vers 1950 ; cahin-caha je conduis la petite exploitation, je ne suis pas pressé de prendre une compagne pourrait-on dire, le temps passe , les dimanches, je les observe en ne faisant que les soins aux animaux et en participant au moins à la messe. Les après-midi à l'hiver quelquefois assister à un match ou au cross ; quelques soirs ou en après-midi un film muet à Quintin , ici 1 h 30 en salle et j'avais le mal de tête pour la soirée, ce qui ne se produisait pas au grand air. Dès qu'arrivaient les beaux jours, je préférais, avec Alphonse un voisin, participer aux fêtes locales organisées pour un pardon ; la course à pied était notre principale motivation quoi que n'ayant pas d'avantage particulier pour ce sport.
Les gains étaient minimes et nous permettaient tout juste de renouveler nos chaussures légères et boire un rafraîchissement. Pour dire que ce temps d'après-guerre fût une période compensatoire des années passées près de la frontière polonaise. Les parents ne me disaient trop rien mais auraient préféré certainement me voir un peu plus motivé pour fonder un foyer. Tant bien que mal , j'arrivais sur toutes les occupations puisque pour eux beaucoup de travaux n'étaient plus compatibles avec leur âge. Ma mère s'occupait surtout de la cuisine, la fabrication du beurre qui procurait le petit lait, important pour l'élevage de cochon et de veaux ; il fallait d'abord traire le lait , l' écrémer après chaque traite (deux fois par jour) récupérer cette crème dans des récipients, attendre un jour ou deux qu'elle devienne légèrement acide, puis baratter. ; tous les ustensiles d'une grande propreté ; au bout d'un temps de barattage (entre un quart d'heure et une heure) suivant la saison, séparer le beurre du petit lait, commencer par un lavage à l'eau froide du beurre, ensuite le malaxer pour en faire sortir le reste de lait , le saler par un autre malaxage, pour le beurre que l'on portait au marché, ce dernier travail n'était pas utile, c'est dire l'occupation de la ménagère à l'époque 1960. Faire la soupe occupait un bon moment les maîtresses de maison, peu de fourneaux, des marmites sur feu de bois (pas souvent sec) faire bouillir et entretenir deux heures, lorsqu'il fallait cuire le lard ou le morceau (de viande douce) boeuf préparations des légumes. Pour la lessive, depuis plusieurs années, une personne employée spécialement à ce travail venait tous les 15 jours, il m'appartenait ce jour là de me rendre au lavoir à l'heure de repas pour ramener le linge lavé ; le lavoir environ 200 mètres par un chemin peu carrossable et souvent boueux trop pénible (personne d'une cinquantaine d'années).
Le repas était pris, la lavandière reprenait le chemin pour laver les couleurs ( les vêtements non soumis à la lessiveuse) , alors ma mère s'occupait de faire bouillir le linge du matin ; une collation vers quatre heures et la personne repartait au lavoir pour le rinçage avec le linge du matin ; après le petit repas du soir, elle rentrait chez elle dans sa petite maison d'une seule pièce au bas du bourg. En 1958, la maman Marie-Hélène a des ennuis de santé, nous sommes mariés depuis cinq ans, Thérèse a déjà beaucoup d'occupation, cinq enfants qui demandent des soins intensifs journaliers, impossible de garder une personne âgée au foyer. Elle rentre pour un petit moment puis plus grave elles se casse le col du fémur ; à nouveau en clinique, malheureusement, l'immobilisation de la jambe est fatale ; revenue à la maison, la situation devient intenable pour Thérèse qui ne peut reposer la nuit tant les appels sont intenses pour les soins ; ses soeurs à son chevet le jour , soulagent momentanément mon épouse. Je veux parler de Delphine épouse Jean-Marie Fraboulet et soeur Hortense en religion du Saint Esprit. La délivrance survient le 2 juillet 1962 ; j'étais présent à son agonie, son décès , de même que mon père ; elle avait 79 ans. Mon père qui se déplaçait avec beaucoup de difficultés, rhumatismales et chute de vélo au moment de la guerre 39-45 fût hospitalisée quelque temps plus tard suite à une hémorragie dorsale ; ce fût difficile de le convaincre pour des soins spéciaux à l'hôpital. Le séjour ne fût pas long mais la plaie ne se referma pas complètement. Diminuant de force , il décédait le (22) mai (1967) chez nous.
Je reviens sur l'époque de notre mariage. Nous nous connaissions de longue date , j'avais 20 ans elle en avait 10 ; au retour de la guerre et de la captivité 30 pour moi 20 pour être ; dix ans me semblaient peut-être inconvenants ; toujours est-il que je restais sourd aux appels, à la sérénité, au bon sens. Je perdais du bon temps , laissant les parents un peu inquiets pour la suite de l'héritage et de la vie. Un événement malheureux va se produire pour nos familles. Le père de Thérèse meurt en janvier 1951 d'un accident de la route, chute de vélo route de Corlay , à 1 km environ de son domicile ; relevé inconscient il le demeura jusqu'à son décès en clinique la nuit suivante. Très triste pour son épouse, Anne-Marie Paillardon et ses enfants Eugène, Paul, Thérèse et Maria. Jean Goupy était maire de Le Bodéo à l'époque , juste dans son raisonnement et bien d'autres qualités . C'est en revenant de Corlay ; entre autres choses, il revenait de plaider la cause d'une pauvre fille de 20 ans d'une éducation négligée par son père et dont la mère était décédée trop tôt. Parti le matin sans doute aux environs de 10 heures, retrouvé sur la route vers 16 heures. Avait-il pris un repas ? A-t-il été touché par un camion ? Les enquêtes étaient brèves me semble-t-il à l'époque. La population fût choquée par cette disparition brutale. Pour les obsèques les maires du canton et des communes limitrophes, le conseiller général et conseillers municipaux, un délégué du préfet qui fit une allocution remarquée où il fit allusion à un papillon aperçu dans l'église au cours de l'Office présage pour lui de jours meilleurs et plus heureux pour les familles voulant dire que ces morts si tristes sont comme une semence pour l'environnement.
Au Quélineuc, la vie repartit sans accrocs , obéissant aux directives d'Anne-Marie la maman, elle-même assurant la part cuisine avec soin et régulièrement. Maria a juste 20 ans, son handicap ne lui permet pas d'assurer toute occupation.